Amaury Bernard : une thèse sur la drôle de guerre… sans Hitler ou presque

L’ouvrage, achevé et soutenu en 2019, est en ligne .

Son auteur le présente ainsi :

« Sitzkrieg », « Phoney war » et « Drôle de guerre » sont habituellement les termes employés pour qualifier la période du 1er septembre 1939 au 10 mai 1940, marquée par l’absence de combat et l’ennui au front. Pourtant, ces termes cachent voire essentialisent un temps plus complexe, où mémoires de la Grande Guerre et modernités du combat s’entremêlent. La comparaison des combattants allemands, britanniques et français depuis leur mobilisation – le 26 août 1939 pour les Allemands – jusqu’au déclenchement de la campagne à l’Ouest, permet de mettre en lumière cette période trop souvent oubliée. A partir des journaux du front, des journaux intimes, des lettres et des carnets de guerre des soldats, mais également d’archives officielles, cette thèse s’interroge [sur] la manière dont la guerre qui s’installe au cours de la période du 1er septembre 1939 et le 10 mai 1940, par son originalité et son caractère atypique transforme les représentations des combattants allemands, britanniques et français. Cette thèse s’est attachée à montrer que cette guerre en suspens se définit tout d’abord par l’expectative du combat. Les mois d’attente sont pour eux une période d’apprentissage ou de réapprentissage du métier de soldat. De plus, Cette thèse voulait également montrer que dans les trois armées, existe une remise en question de l’identité propre aux combattants. Il s’agit de retrouver une légitimité, une signification à leur place, à leur rôle dans cette guerre où ils ne peuvent remplir leur fonction première, celle de combattre.

Ainsi, le propos porte sur l’état d’esprit des soldats et non sur les attentes et les tactiques de ceux qui les dirigent. Elles ne peuvent être ignorées mais se rencontrent presque par hasard, au détour d’un tract, d’un dessin de presse ou, moins souvent, d’archives dévoilant des directives, en matière de propagande surtout.

La recette de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, qui en 1990 (l’année du cinquantenaire), dans Les Français de l’an quarante, avait su articuler l’observation des ouvriers et des soldats avec celle des milieux dirigeants, semble s’être perdue. Or si, à juste titre, Amaury Bernard décrit cette période comme un cas très particulier dans l’histoire des guerres, il ne manifeste aucune curiosité pour les raisons de cette situation.

Du côté franco-britannique, elles tiennent à un manque total d’anticipation du comportement allemand en septembre 1939 : une semaine après un déroutant pacte de non-agression avec l’URSS, la rupture brusque de discussions sur Dantzig avec la Pologne qui s’éternisaient depuis le début de l’année, et l’invasion brutale de ce pays sur toutes ses longues frontières communes avec le Reich. Faute d’avoir préparé une riposte de même intensité contre les fortifications et les usines allemandes de l’Ouest, pourtant très vulnérables, Français et Anglais, que des traités contraignants obligent à prendre fait et cause pour le pays agressé, n’ont plus qu’à déclarer la guerre sans la faire, en escomptant que le temps travaille pour eux (un blocus économique devrait asphyxier l’Allemagne contre laquelle, en cas de besoin, on préparerait à loisir une offensive finale).

Du côté allemand on a aussi besoin de temps, tout en étant pressé : il s’agit de monter au plus vite, mais discrètement et soigneusement, une offensive brutale contre la France pour la vaincre rapidement et obliger l’Angleterre, volens nolens, à l’abandonner et à confier désormais sa sécurité au bon vouloir du Reich, devenu irrésistiblement hégémonique sur le continent.

Ces calculs ne sont mentionnés, dans la thèse, que fugitivement, alors qu’on les attendrait au moins dans l’introduction, pour planter le décor. Celui-ci ne l’est donc pas ! L’introduction se contente d’une narration rapide et factuelle de l’entre-deux guerres, marqué par un pacifisme qui cohabite, dans les années trente, avec une remontée des tensions. Certes l’Allemagne en est à l’origine, sous le double effet de la “brutalisation” produite par la guerre précédente et de la crise de 1929, mais les plans de son dictateur ne sont et ne seront pas évoqués. Et l’auteur passe rapidement à un état de l’historiographie antérieure, puis à une présentation des sources de son étude.

Une attention plus soutenue aux milieux dirigeants aurait permis, par exemple, de mettre en exergue, à propos de l’Allemagne comme de la France, un discours de Jean Zay, récent ministre, engagé volontaire comme officier et toujours député. Venu siéger en comité secret le 19 avril 1940, le ministre de l’Education nationale du Front populaire évoque un mot de Goebbels, “nous laisserons pourrir la guerre” et le présente comme sournoisement dangereux, appelant le gouvernement Reynaud à trouver des modes de mobilisation des Français “même si la bataille ne vient pas”, ce qui ne témoigne pas, trois semaines avant qu’elle vienne, d’une lucidité particulière -mais, bien au contraire, de l’efficacité des leurres hitlériens (AN 667AP/115/2. Texte publié dans la Revue administrative en 1996, puis par Dominique Mongin dans Les 50 discours qui ont marqué la Seconde Guerre mondiale, Paris, Archipoche, 2019).


Privée de tels éclairages, cette thèse est néanmoins riche d’aperçus nouveaux, non seulement sur l’état d’esprit des soldats des trois puissances, mais sur les effets démobilisateurs des mystifications nazies.

François Delpla
A propos de François Delpla 34 Articles
normalien (Ulm), agrégé, docteur HDR historien du nazisme et de sa guerre depuis 1990 biographe de Hitler persuadé que le nazisme a été très peu compris pendant un siècle et que son histoire scientifique débute à peine

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