Polycratie ? Les témoignages de Werner Best, Ciano et Ribbentrop nous éclairent.

Les textes de Werner Best (déjà évoqués ici) ont beau avoir été écrit il y a plus de 70 ans (en 1949), ils ne semblent toujours pas avoir été assez pris en considération par l’historiographie. En effet, dans son portrait consacré à Hitler, il décrit un dictateur intervenant tous azimuts dans les ministères, en particulier celui des affaires étrangères. Un portrait bien éloigné de l’idée d’une polycratie nazie.

Lisons-le :

“(Hitler) a essayé d’imposer ses vues en intervenant personnellement et constamment et en créant des services parallèles , en désignant des commissaires, etc. Avec pour conséquences que d’innombrables détails de l’activité de tous les ministères, avec lesquels un chef d’Etat et de gouvernement ne doit jamais être importuné, ont été soumis à sa décision (…) il perdait son temps à s’occuper des “affaires courantes” d’un chef de gouvernement ou à présider le conseil des ministres (…) les succès de politique étrangère de Hitler (…) devaient toujours plus l’encourager à s’occuper des affaires étrangères

traduction Eric Kerjean, Portraits de nazis, p., 85-88, Perrin, 2015.

version allemande (Matlock 1988) :

Seine Ziele versuchte er durch ständige persönliche Eingriffe und durch die Einsetzung von Paralleldienststellen, Kommissaren usw. durchzusetzen. Dies führte dazu, daß unzählige Einzelheiten aus der Tätigkeit aller staatlichen Ressorts an ihn zur Entscheidung herangetragen wurden, mit denen vernünftigerweise ein Staats- und Regierungschef niemals behelligt werden dürfte. (…) wenn er seine Zeit mit der »laufenden Arbeit« eines Regierungschefs, mit dem Präsidieren von Kabinettssitzungen u.dgl. zubringe (…) H.’s außenpolitische Erfolge (…) mußten ihn immer stärker zu außenpolitischer Aktivität anreizen.

Voilà qui va bien à l’encontre de la thèse polycratique. Il s’agit d’un témoignage accablant contre l’idée d’une polycratie nazie. Hitler, hyperactif, dirigeait tout dans les moindres détails, surtout dans le domaine de la politique étrangère.

Il est difficile de ne pas rapprocher ce témoignage de celui du comte Ciano au sujet de Ribbentrop (préface de son Journal, traduction Stelling-Michaud) :

(le 11 août 1939) “Et bien Ribbentrop lui demandai-je que voulez-vous en somme : Dantzig ou le Corridor ?”
“Plus que cela”, me dit-il en me fixant de son regard froid comme celui d’une poupée du musée Grévin, “nous voulons la guerre”.

Ce regard désincarné et la phrase qui va avec n’est-elle pas un signe que celui qui parle n’est pas Ribbentrop, mais Hitler ? En disant nous il ne dit pas je, et par là même il désigne Hitler comme le décisionnaire.

Que Hitler était en réalité le seul qui décide, Ribbentrop l’avoue le 16 juin 1941 à Ciano quand ce dernier lui demande des éclaircissements sur les rumeurs de guerre contre l’URSS :

“Dear Ciano”, me répondit-il avec une lenteur savamment étudiée, “mon cher Ciano, je ne puis rien vous dire encore parce que toutes les décisions reposent dans l’âme insondable du Führer“.

Galeazzo Ciano, Journal, trad. Stelling-Michaud, éditions de la Baconnière, 1949.

Siegfried Matlock et Werner Best, Dänmark in Hitlers hand, 1988.

Eric Kerjean et Werner Best, Portraits de nazis, éditions Perrin, 2015.

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