Rudolf Hess vu par Pierre Servent

En septembre 2019, Pierre Servent a signé le premier livre en français sur Rudolf Hess. Se présentant comme une biographie, il est au contraire centré sur un bref épisode, le vol du sujet vers l’Ecosse dans la soirée du 10 mai 1941. Il s’agit de démontrer que le plus ancien ami et complice de Hitler a, pour une fois, agi dans son dos, en voulant lui faire une agréable surprise. Le récit de sa vie antérieure comme celui de sa captivité postérieure sont censés étayer, d’une façon ou d’une autre, la démonstration.

Tout d’abord, leur complicité est fortement relativisée, au profit de l’attitude “dévote” qu’aurait manifestée le disciple dès la première rencontre. Ainsi, Servent omet deux épisodes où Hitler et Hess s’entendent comme larrons en foire :

-l’affaire du coffre scellé par la police lors d’une saisie en l’absence du chef au siège du NSDAP, habilement vidé dans la nuit par Hess et permettant d’humilier ladite police lorsque Hitler, de retour avec la clé, se défoule copieusement contre les pandores avant d’ouvrir la porte et de jouir de leur mine (un épisode raconté dans les Propos , le 5 février 1942, à un moment, pourtant, où Hitler manifeste par ailleurs, neuf mois après le vol, un mépris intact pour le fugitif).

le piège tendu à Leni Riefenstahl pour éprouver sa discrétion en marge d’un congrès de Nuremberg.

Ce Hess est bourré de problèmes psychologiques… comme les tenants de la thèse d’un vol entrepris à l’insu de Hitler n’ont cessé de l’affirmer… depuis ce vol, mais jamais avant !

C’est à la fois un honnête homme et un être faible, complètement soumis à la volonté, et impuissant devant la brutalité, de son idole. En sorte que la question de savoir si, resté en Allemagne, il se serait opposé à la Shoah, comme le prétendait son épouse Ilse, “reste ouverte”.

Le livre se prévaut, sans excès de modestie, de faire, contre les mythes et les fake news, usage d’ “une dose énorme de bon sens” (p. 419).

Chose curieuse, l’auteur pourfend au passage quelques mythes en s’appuyant sur des travaux récents, par exemple l’idée que Hess aurait co-écrit Mein Kampf, ou encore la loyauté envers Churchill de Halifax, ici campé comme un intrigant anti-churchillien dans la foulée du film (et du livre) Darkest Hour. Mais il a l’actualisation sélective !

On reproche parfois à ceux qui accordent une certaine force explicative à la personnalité de Hitler de faire une “histoire psychologisante”. Que dire alors de celle-là !

A présent, il reste un an pour que le 80ème anniversaire du vol de Hess mette en pleine lumière :

• les talents de comédiens des deux hommes;

• la constance du triple choix de Hitler envers les autres puissances européennes (écrasement militaire de la France, colonisation du territoire soviétique, pacte raciste avec la Grande-Bretagne);

• le réalisme, mâtiné de providentialisme, de Hitler, qui sait fort bien que l’opération Barbarossa est mortellement risquée et sacrifie son bras droit, dans une opération plus risquée encore, pour tenter à toute force d’éviter une guerre sur deux fronts;

• le rôle fondamental de Churchill pour faire échouer cette manoeuvre et pour l’obliger à prendre ce risque;

• le ressort profond de l’obéissance des Allemands à ce régime, combinant patriotisme et résignation;

• la nécessité scientifique absolue de lire les déclarations nazies en traquant les manipulations, les doubles sens et les doubles-fonds.

Un sous-titre fallacieux (aucune énigme n’est posée, et encore moins résolue), prétentieux (ce régime et sa guerre restent à bien des égards énigmatiques) et illogique (il faudrait savoir si énigme il y a, ou “fantasmes complotistes” contraires à tout bon sens !)
François Delpla
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normalien (Ulm), agrégé, docteur HDR historien du nazisme et de sa guerre depuis 1990 biographe de Hitler persuadé que le nazisme a été très peu compris pendant un siècle et que son histoire scientifique débute à peine

36 Comments

  1. C’est quand même curieux que TOUS les collaborateurs directs de Hess ET Hitler (LINGE, PINTSCH, BOHLE etc.) étaient convaincus de leur connivence, mais qu’AUCUN historien (ou presque) n’en soient convaincus aujourd’hui !

    De même, le silence assourdissant des archives britanniques au sujet du vol de Hess ne peut démontrer qu’une chose : du sérieux du vol en question, et de la remise en cause de l’historiographie autorisée si jamais lesdites archives devaient être dévoilées !

    • L’interview de Rochus Misch à laquelle j’ai participé à Berlin en 2006 incite à nuancer votre propos.
      Misch, un SS préposé à la transmission des messages, n’avait pas de témoignage oculaire à faire valoir sur notre sujet et ne prétendait pas en avoir, mais il était convaincu que Hess avait agi à l’insu de Hitler parce qu’un proche collaborateur de Hess qu’il avait longuement côtoyé dans les geôles soviétiques, Sepp Platzer, l’en avait convaincu.
      Cependant, son point de vue est intéressé, car ce constat l’aide à nettoyer sa conscience (lui qui avait des opinions plutôt à gauche et a renoué avec elles après la guerre, sa femme étant conseillère municipale à Berlin-Ouest dans l’équipe de Willy Brandt !) et à penser qu’il “ne faisait que son travail” sans prêter la main à des crimes : il persiste à voir Hitler comme un homme très droit, qui aurait été incapable de jouer une comédie !

  2. il y a un distinguo à faire entre les archives britanniques avant le vol, un gruyère effectivement, et après : celles-ci ont été déclassifiées dans les années 1990, complètement semble-t-il.

    D’autre part, Churchill, certes moins que Hitler, pouvait recourir à des intermédiaires officieux et les rencontrer entre quatre yeux. En l’occurrence, son homme de confiance en Espagne, le capitaine Hillgarth, en aurait eu, des choses à dire !

  3. quelqu’un aurait-il l’article d’Antoine Flandrin https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/09/19/biographie-rudolf-hess-l-econduit_5512243_3260.html ?

    Le début, en tout cas, aborde le sujet avec une distance de bon aloi :

    “Pourquoi Rudolf Hess (1894-1987), adjoint et dévot absolu d’Hitler, s’est-il envolé pour l’Ecosse en pleine guerre, le 10 mai 1941 ? Pour résoudre cette énigme, l’officier et journaliste Pierre Servent s’appuie surtout sur les archives britanniques, ­notamment les plus récentes, ouvertes en 2017 et 2019. Plus ­surprenant, il recourt à l’expertise de deux graphologues, qui concluent à partir de l’écriture d’Hess à sa « sombre dualité », entre rébellion et servilité.

    A l’aune de ce profilage, l’auteur étudie la nature de la relation entre Hess et Hitler. Meurtri par la défaite de 1918, l’ancien pilote de chasse Hess attend le « sans-nom » qui viendra redresser l’Allemagne. Fils de riches commerçants né à Alexandrie, parlant français et anglais, il se met au service du petit caporal autodidacte, aux origines modestes. L’auteur mesure l’emprise psychologique de l’« Autrichien » sur l’« Egyptien », de leur rencontre en 1920 à leur incarcération à la prison de Landsberg en 1924. Très vite, Hess n’a plus qu’un objectif : être près de son héros.

    Un amour déçu pour le Führer

    Suivant l’intuition des dirigeants britanniques, Pierre ­Servent ­privilégie la thèse d’un amour déçu pour le Führer. La distance que celui-ci lui impose après sa prise du pouvoir en 1933 lui est à ce point insupportable qu’Hess finira par opter pour la prise de risque maximale – le raid aérien solitaire, qui lui vaudra d’être détenu par les Britanniques jusqu’à la fin de la guerre, avant d’être condamné à la prison à perpétuité à Nuremberg – afin de regagner avec panache l’affection d’Hitler.”

  4. Le fait que le livre de Servent,
    inabouti, tout au plus utilisable comme banque de données (car l’auteur est allé aux archives, et cite des textes intégraux)
    et, du point de vue de la recherche novatrice sur le Reich hitlérien,
    plutôt un verrou qu’un stimulant,

    soit recommandé par le Monde,

    me fait penser à ce triste constat https://www.bourin-editeur.fr/fr/books/la-trahison-des-medias :

    “Sans pilote dans le cockpit, les médias distillent de plus en plus une substance toxique pour la démocratie.

    Ils inhibent le débat, formatent la pensée des responsables et assurent la promotion fugace d’improbables vedettes.

    Souvent impuissants, les journalistes assistent à la régression de leur métier et à la progression foudroyante de la médialomanie.

    C’est ce malaise profond que Mr X dénonce dans La Trahison des médias.

    Dans une analyse au vitriol, il décrit les mécanismes d’un empire médiatique qui règne désormais sans partage sur les autres pouvoirs et trahit sa mission démocratique. Son constat est accablant.”

    Pour connaître l’identité de Mr X ., cliquer sur le lien.

    • Mr X est Pierre Servent ! C’est amusant.
      Je pense que toute personne qui ne prend pas l’affaire Hess au sérieux a 99% de chance de se planter.
      Pourquoi Hitler recevrait Hess pendant 4 heures une semaine à peine avant le vol ? Pourquoi au cours de cette rencontre Hitler aurait modifié son discours au Reichstag du 4 mai en présence de Hess et suite à un appel téléphonique Haushofer, si ces derniers étaient des “pestiférés” ?
      Comment l’avion a-t-il pu décoller et traverser l’espace aérien allemand sans autorisation en haut lieu ? comment l’avion de Hess qui était lent comme un escargot et maniable comme une chèvre n’a-t-il pas été abattu par l’aviation anglaise ?
      Comment expliquer que Churchill mis au courant de l’arrivée de Hess en Ecosse ait eu pour seule réponse : “Hess ou pas, je regarderai un film des Marx Brothers”, si ce n’est que Churchill savait déjà de quoi il en retournait ?
      Tout ça n’a de sens que dans un jeu du chat et de souris entre Hitler et Churchill pour savoir qui va avoir l’autre…

  5. Un indice montre que Servent, qui n’est pas bête et comprend fort bien certains traits du Troisième Reich, est prisonnier de la version traditionnelle et de la caution donnée à son ouvrage par un François Kersaudy, au point de sombrer dans l’illogisme.

    Il reprend l’idée, martelée tant et plus depuis 1945, que si Hess avait juré à Hitler de cacher qu’il l’avait envoyé, il était automatiquement délié de son serment par la mort du partenaire et aurait eu tout intérêt à cracher le morceau. Ainsi, p. 394, quand Servent résume les confessions faites par Hess au geôlier américain Bird : “Sur la question de la connaissance de son plan par le Führer, on voit mal pourquoi le vieil homme occulterait la vérité trente ans après les faits “. Mais il se contredit somptueusement dès la page suivante,

    (…) sur la question de savoir s’il avait connaissance de Barbarossa avant de décoller. La question n’est pas de détail. S’il part vers l’Ecosse sans savoir que Barbarossa va être déclenchée, sa thèse du “messager de la paix” tient à peu près ; s’il sait que sa mission de la dernière chance se situe quelques semaines avant l’invasion de la Russie soviétique, Hess cherche ouvertement à favoriser une future ” guerre d’anéantissement”.

    Mais c’est la même chose, la même question !
    Une fois qu’il a menti, Hess est prisonnier de son mensonge… tout autant que des barreaux de Londres, Nuremberg et Spandau. Dire que Hitler l’a envoyé, ce serait non seulement avouer que “l’apôtre de la paix” n’était qu’un vulgaire pourvoyeur, pour un conquérant mâtiné de Gengis Khan et d’Attila, d’une plus grande liberté de manoeuvre,
    mais révéler toute la ruse nazie, en forme de balais d’essuie-glace : la guerre d’agression est bel et bien dans l’ADN du régime mais, vu la position de faiblesse de l’Allemagne en 1933, il a bien fallu se fiancer à l’Angleterre sans conclure tout en menaçant Moscou, puis pactiser avec Moscou, puis écraser la France, puis, espoir suprême et suprême pensée, consommer le mariage avec l’Angleterre, avant de se lancer dans la conquête de “l’espace vital”.

    Il aurait fallu avouer qu’on n’avait cessé de tricher… et Pierre Servent ne voit pas l’intérêt de ne pas le faire ? Vraiment ???

  6. “sur la question de savoir s’il avait connaissance de Barbarossa avant de décoller. La question n’est pas de détail. S’il part vers l’Ecosse sans savoir que Barbarossa va être déclenchée, sa thèse du “messager de la paix” tient à peu près ; s’il sait que sa mission de la dernière chance se situe quelques semaines avant l’invasion de la Russie soviétique, Hess cherche ouvertement à favoriser une future ” guerre d’anéantissement”.”

    La deuxième option est plus qu’évidente, tout de même.
    D’autre part, on sait que la “paix” proposée n’était rien de moins qu’une soumission de l’Angleterre à Hitler… Mais, aux yeux de Hitler, c’était sans doute une “offre très généreuse”.

  7. Là-dessus je ne suis pas complètement d’accord. C’est d’une soumission morale qu’il s’agissait, mais pas physique ! L’empire britannique ébranlé de toutes parts aurait acheté sa pérennité (ou du moins, un sursis) en échange d’une adhésion explicite ou non à la théorie de l’inégalité foncière et éternelle des races. Londres aurait conservé toutes ses chasses gardées, y compris sur le plan économique.

    • Attention ! Une fois que vous êtes soumis moralement à Hitler, vous êtes foutus. Il vous a mis le grappin dessus et ne lâchera pas.

      L’Angleterre devait accepter de rendre ses colonies à l’Allemagne. Or, pour quelqu’un qui soit-disant se désintéresse des espaces maritimes, c’est bien curieux étant donné que ces possessions étaient en Afrique et dans le Pacifique !

      Le but de la manoeuvre était uniquement pour Hitler d’avoir les mains libres en URSS et d’écarter les USA du conflit. A ces deux conditions la victoire en URSS aurait été plus probable.

      Et à partir de là, il aurait été très difficile pour les anglo-américains de déloger Hitler. Et en gros Hitler aurait gagné la partie.

      • “Hitler et les anciennes colonies allemandes, perdues en 1918-19” : en voilà encore, un sujet vierge, du moins de toute synthèse. Celle-ci devrait faire apparaître que Hitler n’a jamais voulu les récupérer, mais a agité cette revendication, par intermittence, à la fois comme un leurre (en faisant croire que “l’espace vital” et la “répartition plus juste des matières premières” pourraient être recherchés de ce côté, en enterrant par réalisme de plus vastes projets d’annexions; cela surtout quand il fait semblant de mettre en chantier un nouveau traité en 1936, après la remilitarisation de la Rhénanie) et comme une monnaie d’échange (on a été très méchant avec nous, on nous doit des compensations).

        Donc, le fait qu’il agite encore vaguement cette question en 1940 ne signifie nullement qu’il envisage de se mesurer sur les mers avec la Grande-Bretagne après avoir terrassé la Russie. Tout au contraire, il l’invite à considérer ce danger et à accepter le “partage aryen” : à toi les mers, à moi le continent européen.

  8. A la lecture de la recension d’Abed, je comprends que Servent n’a présenté qu’une version très convenue de Hess… la plus convenue possible à vrai dire !
    Aussi, je ne vois guère l’intérêt d’écrire une biographie française, si c’est pour répéter un consensus international. Ce consensus étant lui-même plus que très critiquable.

  9. “Donc, le fait qu’il agite encore vaguement cette question en 1940 ne signifie nullement qu’il envisage de se mesurer sur les mers avec la Grande-Bretagne après avoir terrassé la Russie. Tout au contraire, il l’invite à mesurer ce danger et à accepter le “partage aryen” : à toi les mers, à moi le continent européen.”

    Mais, vous ne trouvez pas curieux que dans ses “propositions de paix” Hitler ait à chaque fois demandé la restitution des colonies allemandes ? Voilà qui n’était tout de même pas très diplomate pour quelqu’un qui prétend chercher la paix et uniquement la domination européenne…
    D’autre part, pourquoi dîtes-vous “vaguement” ? Hitler à chaque fois réclame les colonies allemandes dans ses conditions de paix. La paix proposée est donc une “pax hitleriana” .

    • prenez le fameux discours du 19 juillet 40, disant pis que pendre de Churchill tout en tendant à l’empire britannique un rameau d’olivier. Je viens de le relire rapidement et, sauf erreur, il ne comporte aucune revendication coloniale.

      Cela dit, dans le message confié à Dahlerus par Göring le 6 mai, puis dans divers documents préparatoires au traité espéré, il y a une vague revendication coloniale, qui se précise quelquefois en un nom et un seul : Madagascar. L’affaire reviendrait probablement sur le tapis si le discours du 19 faisait tomber Churchill comme les trompettes de Jéricho ! Il s’agirait officiellement d’y établir un Etat juif, et en fait, d’après des documents internes, une chambre à gaz à ciel ouvert ou disons un mouroir à peine moins expéditif que ce qui se fera entre 1942 et 1945. Est-ce à dire que la Kriegsmarine sillonnerait l’océan Indien, ou l’Atlantique sud, et menacerait d’y conquérir des points d’appui ? Même pas : si l’Angleterre avait cette crainte, elle aurait la ressource de louer sa flotte pour le transport des Juifs !

  10. Quelques petites corrections mineures :

    Servent, Prologue n.2 :
    “Le Me110 avait une autonomie de vol double à celle du Me 109 : 800 km de rayon d’action. Seul l’allègement de la carcasse en passant de deux à un seul pilote et un réservoir supplémentaire fixé sous la carlingue permettaient de doubler la distance de totale franchissable.”
    Le Me 110 de Hess n’avait pas de réservoir supplémentaire sous la carlingue… mais 2 réservoirs supplémentaires fixés sous les ailes. C’est surtout ces 2 réservoirs supplémentaires qui lui permettent de faire la distance. L’allègement de la carcasse n’a pas vraiment lieu puisque même s’il est seul, il fait aménager une super-radio beaucoup plus lourde que la précédente sur la tableau de bord du cockpit.

    Autre erreur : Servent parle d’un Me 110 “désarmé… or, il n’était pas “désarmé”, les 4 mitrailleuses étaient toujours là., même si Hess ne s’en ait pas servi. Pour alléger l’avion on aurait pu les enlever, mais l’allègement n’était pas une priorité avec les deux réservoirs supplémentaires.

    • excellentes mises au point, révélatrices d’un livre idéologique à la conclusion préfabriquée.
      Dans le même ordre d’idées, Servent ne pose pas une question technique essentielle : si ce vol minutieusement préparé devait se conclure en parachute, Hess se devait de s’entraîner à ce sport. Or de l’aveu général c’était son premier saut et il n’avait même jamais essayé d’ouvrir le cockpit en vol ! Preuve absolue qu’il comptait atterrir. De nuit et dans une lande vallonnée ? Impossible. Il fallait donc un aérodrome, et des gens pour l’éclairer. Ce qui invite à méditer sérieusement sur la préparation du vol, côté britannique.

      J’ai proposé des solutions sur tous ces points en 2012 dans Churchill et Hitler, repris en poche chez Perrin, mais, comme c’est curieux, Servent ne cite qu’un livre de moi, en très bonne part d’ailleurs, Hitler et les femmes, dans ses pages sur la sexualité de Hess.

    • Tout à fait François ! On oublie souvent que la solution n1 de Hess était l’atterrissage. Il pensait pouvoir se poser sur une route, ou sur la piste privée du duc. Mais l’atterrissage sur la route était trop dangereux, pas éclairé, sinueuse… bref pas possible. Pour la piste du Duc il en avait bien une à Dungavel, mais elle était impropre pour un avion tel que le Me110, beaucoup trop lourd.

      Effectivement, comme vous le suggérez, il ne pouvait guère que se poser sur un aérodrome. Et effectivement, celui de Prestwick est un bon candidat.

      En effet, le Me 110 de Hess n’aurait pas pu se poser sur la piste privée du Duc à Dunavel. Il lui fallait une vraie piste d’atterrissage sans risque de se tuer (!), or la piste la plus proche était celle de Prestwick, à l’ouest de Dungavel, sur la côte.
      Dans la lettre à sa famille écrite en juin 41, Hess raconte son vol. Célèbre lettre. On y lit qu’il franchit la côte à Holy Island. Puis qu’il survole le Mont Cheviot et le Pic du Broad Law avant de tourner à gauche direction l’estuaire de la Clyde.
      Or, si Hess visait Dungavel il n’avait qu’à continuer tout droit après Holy Island. S’il pique au sud vers le Mont Cheviot puis au nord ouest sur le Pic Broad Law et qu’il tourne à gauche… c’est que son but est PRESTWICK.
      Arrivé à Prestwick, il ne voit aucune lumière qui lui indiquerait une piste. Il se met donc à longer la côte vers le nord puis n’ayant rien vu il pique plein Est sur Dungavel. Son saut ne peut être qu’aléatoire, car il n’y aucune lumière dans la campagne écossaise… ce qui fait qu’il atterrira à Eaglesham et non à Dungavel.

  11. Il faut signaler que la solution “Prestwick” a été proposée pour la première fois par John Harris en 2010. Auparavant, les tenants de la thèse suivant laquelle Hess comptait atterrir et avait pour cela des complicités (ou des espoirs de complicités) sur place n’avaient que le petit aérodrome privé du duc à Dungavel à se mettre sous la dent et les adversaires s’esclaffaient en disant que cette courte piste s’achevait par un bois où un ME 110 se serait en toute certitude empalé.

    Bon rappel chronologique au début du livre de 2014 Rudolf Hess: A New Technical Analysis of the Hess Flight, May 1941
    de John Harris et Richard Wilbourn.

  12. A titre personnel, je m’appuie sur le récit de son vol par Rudolf Hess. J’ai bien vu que quelque chose n’allait pas dans son récit : pourquoi faire ces détours si c’est pour aller à Dungavel ?
    J’ai trouvé le nom de Prestwick dans votre Churchill et Hitler.
    Et effectivement, c’est le seul aérodrome dans le coin, et surtout il est dans le prolongement du pic Broad Law après lequel Hess dit tourner à gauche.
    Je ne suis pas certain que Prestwick était l’objectif, mais le récit de Hess n’est pas net : son trajet ne ressemble pas à un vol qui a pour objectif Dungavel. D’autre part son itinéraire reste entouré de mystère et encore pire la chronologie du vol n’est pas net.

  13. Autre mise au point :

    KERSAUDY dit que si le coup avait été préparé avec Hitler, on aurait fait mieux les choses. Par exemple, dit-il, Hess n’aurait pas pris un Me 110 mais un He 11 ou un Ju 88…

    Mais, Kersaudy n’a pas bien vérifié les choses ! En effet, le Me 110 avait une plus grande autonomie que le He 111 ou le Ju 88. Le Me 11O avec ses deux réservoirs supplémentaires étaient bien l’avion le plus approprié pour faire le vol.

    • A quel texte de Kersaudy vous référez-vous ? Pour ma part je suis sur https://books.google.fr/books?id=3ySNBgAAQBAJ&pg=PT18&lpg=PT18&dq=christa+schroeder+hess&source=bl&ots=VRcenP9W9j&sig=ACfU3U2O_peLcOc9o2aq6F7_sRWWuzayqw&hl=fr&sa=X#v=onepage&q=christa%20schroeder%20hess&f=false et je trouve une faute de méthode très intéressante : Kersaudy invoque, sans distance aucune, un document produit par Irving dans son livre sur Hess p. 38 (sans référence mais mon édition est française et l’éditeur n’a pas forcément reproduit les références, donc admettons !). Il s’agit d’une trahison du secret professionnel, en 1947, par un dr Schmitt qui aurait eu Hess comme patient de 1936 à 1939, et l’aurait entendu, “effondré dans son cabinet”, déplorer la mort de Röhm tout en reconnaissant avoir conseillé à Hitler de le faire tuer.

      Comment, mais comment peut-on prendre cela au premier degré ? A supposer que ce soit vrai, cela prouve tout au plus que Hess jouait ici un numéro de duettiste avec Hitler, un de plus, pour brouiller les pistes. Pour présenter le régime comme divisé et Hitler comme tiraillé, hésitant, nullement planificateur et absolument incapable de ce qu’il a fait lors de la nuit des Longs couteaux : une froide opération chirurgicale à moins de 100 morts pour 60 millions d’habitants, terrorisant et / ou compromettant un maximum de personnes et de milieux.

  14. le plus discutable, toujours dans la prose de Kersaudy (imitée sur ce point et d’autres par Servent) :

    le rôle du Parti nazi “devient insignifiant dès lors qu’on ne discute plus à la chancellerie que de stratégie, d’avions, de bombes, de sous-marins et de matières premières”.

    Ah bon, ce n’est pas une guerre nazie ? Juste une resucée de 14-18 ? Hitler ne profite pas de l’état de guerre pour passer à la casserole maint handicapé, maint notable polonais, et maint Juif en attendant de tous les réduire en cendres ? Et pour faciliter l’exécution des ordres dans ces domaines, le rôle du Parti ne croît-il pas,au contraire, en importance ?

    Hess en tout cas n’a pas l’air d’être au chômage technique quand à Noël 1939 il explique dans les journaux, pendant trois jours de suite, que les fiancées enceintes des soldats tombés en Pologne ont droit au titre de Madame et à tous les égards de la patrie ! Une manière, en sus, de nazifier la Nativité !

  15. Kersaudy, “l’affaire Rudolf Hess”, je cite le passage incriminé :

    “si Hitler avait réellement voulu envoyer un émissaire, il aurait fait mettre à sa disposition un appareil plus adapté -sans doute un bombardier moyen Ju 88 ou un He 111, avec un équipage adéquat-, et il aurait exigé des possibilités d’atterrissage moins hasardeuses”.

    C’est une position que Kersaudy répète dans le documentaire auquel vous avez aussi participé sur le vol de Hess et rediffusé récemment sur RMC découverte. C’est un très bon reportage je trouve, même si évidemment on est pas toujours d’accord avec ce qu’il se dit.

    Or, vérifications faites par mes soins, le He 111 et le Ju 88 ont moins d’autonomie que le Me 111. Pourquoi privilégier des avions plus lourds et plus rapides si ils ont moins d’autonomie ? De toute évidence Hess n’était pas loin de la panne sèche quand il a sauté en parachute. Un commandant britannique indiquera qu’à son avis il restait 20 litres, quelques minutes de vol à peine. Donc avec un He 111 ou un Ju 88, cela aurait été encore plus imprudent.

    Kersaudy imagine Hitler envoyant un avion avec équipage complet. Je veux bien, mais pourquoi envoyer un équipage complet si Hess est capable de le faire à lui tout seul ? Et comment présenter ensuite la thèse d’un Hess isolé, esseulé et fou s’il se fait prendre avec tout un équipage ? Cela a encore moins de sens.

    Kersaudy ne prend pas assez au sérieux l’hypothèse d’un Hess envoyé de mèche par Hitler.

  16. Le Dr Schmitt a fait ces révélations le 21 mai 1945 dans le NY Times. Il en fait un livre après-guerre. Ce qui à mes yeux trahi Hess dans cette histoire, c’est que ses avocats ont empêché la publication de ce passage en Allemagne après-guerre.

    Je vous donne le texte de Irving concernant le Dr Schmitt et Hess :
    page 25-26
    ‘On one occasion in my office,’ Schmitt claimed, ‘Hess broke down and wept over Röhm’s death, blaming himself for it.’ Hitler had planned to spare the SA commander, according to Schmitt, but Hess confessed to him that he had insisted on Röhm’s death. He was worried too about Bormann and Dr Ley undermining his position with Hitler ; he hinted that his two powerful underlings were misappropriating funds from Mein Kampf sales and the Volkswagen dividends -but he was powerless to take action against either.

    note de Irving :

    Schmitt revelations : News story in the New York Times, May 21 , 1945: ‘Hess’s doctor gives “inside” nazi story: calls deputy leader who flew to Scotland a psychopath with a guilty conscience.’ The late Rudolf Hess’s lawyers have enforced the excision of this Schmitt material from the German edition of this book, claiming that its publication violated his rights to privacy. Ernst ‘Putzi’ Hanfstängl who fled Germany in February 1937 wrote that Hess’s ‘weirdness’ reached the point where ‘he would not go to bed without testing with a divining rod [Pendeln] whether there were any subterranean water courses which conflicted with the direction of his couch.’

  17. Autre mise au point : POURQUOI LE 10 MAI ?

    A ma connaissance, vous n’avez jamais formulé cette hypothèse, et je m’en étonne à vrai dire, puisqu’avec Edouard Husson vous avez essayé de mettre en lumière le “culte des dates” chez Hitler.

    La thèse officielle retient que Hess est parti le 10 mai parce que les conditions météo étaient favorables. Mais, il doit y avoir autre chose.

    Hess a fait plusieurs essais avant le 10 mai. Des essais qui remontent à l’automne 40 pour certains. Mais aucun de ces essais n’a réussi avant le 10 mai. Pourquoi ? Parfois Hess évoque des conditions météo qui se sont dégradés. Parfois il invoque simplement aucune raison, et l’essai est court : simple test ? répétition ?
    Mais il y a plus intéressant. A un moment Hess laisse échapper que son vol devrait avoir lieu dans des conditions stratégiques propices : à savoir à un moment où Hitler récolterait des victoires. Or, dit-il au début de janvier, ce n’était pas le cas. S’il décolle le 10 mai, c’est que juste avant Hitler a triomphé en Yougoslavie, en Grèce et en Afrique du Nord. Il pensait sans doute aussi au soulèvement de l’Irak qui menace la route des Indes… Bref, effectivement, à ce moment-là Hitler se sent fort, il pense pouvoir négocier en position favorable.

    N’oublions pas : le 4 mai Hitler s’entretient pendant 4 heures avec Hess. De quoi parle-t-il si ce n’est de mettre un point final à leur projet ? du traité de paix à proposer à l’Angleterre, si ce n’est de décider si les conditions sont les plus favorables ? Que décident-ils si ce n’est que l’envol doit avoir lieu le 10 mai précisément 6 jours plus tard ?

    Cette décision, seul Hitler a pu la prendre. Il était important que les duettistes synchronisent leur montre afin que la comédie soit plus que parfaite. Or, qui étiat le chef dans le duo ? Hitler évidemment. Il juge le contexte géopolitique favorable. Il prévoit de lancer le bombardement le plus massif sur Londres le même jour pour ajouter du poids à ses menaces. Et aussi… le 10 mai. Pourquoi le 10 mai ?

    Et bien si j’en crois un certain culte des dates, il n’y a pas de hasard, surtout pour ce qui aurait du être le couronnement d’une politique : la paix avec l’Angleterre. Cela aurait le triomphe d’Hitler et sa politique !
    Or, le 10 mai 41 n’est-il pas l’anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Churchill, son pire cauchemar, celui qui est le seul responsable de la guerre ? Cet Anglais “manipulé par les Juifs” ? Ne serait-il pas magnifique que la providence chasse ce même Churchill un an jour pour jour après qu’elle l’y ait placé ?

    Je crois bien que Hitler n’a pas choisi cette date au hasard, qu’elle devait couronner sa réconciliation avec l’Angleterre et ainsi le faire triompher.

  18. Je crois que j’ai évoqué plusieurs fois à ce propos le fétichisme des dates (peut-être uniquement sur des sites et pas dans des articles sur papier ou des livres), mais seulement parce que le 10 mai 40 a débuté l’offensive victorieuse. L’anniversaire de arrivée au pouvoir de Churchill, pourquoi pas ? Cela se complète sans s’opposer. Le 9 novembre aussi, principale date du calendrier nazi, est à la fois l’anniversaire de victoires de la Juiverie et de triomphes “aryens” sur elle.

    En tout cas, le 22 juin 41 est indubitablement l’anniversaire de la mise en cage de la France par l’armistice !

    L’opuscule de Kersaudy est une belle plaidoirie d’avocat, mettant en valeur ce qui va dans le sens de la conclusion et dénigrant le reste à grands coups d’effets de manche !

    D’une façon générale, ce bon spécialiste de Churchill et de l’Angleterre ne sait parler du nazisme que sur un ton sarcastique qui, d’une part, sied très mal au sujet, et, d’autre part, permet de ne jamais s’interroger sur les tendances lourdes et de s’aveugler sur la cohérence de cette entreprise.

    Tout son texte est à reprendre -et nous pouvons d’ailleurs le faire ici, petit à petit. Il glisse à toute vitesse sur les contradictions -normales sans doute puisqu’il s’agit d’amateurisme ?- alors qu’elles sont un repère magnifique pour décrypter les ruses : Hess ne peut pas à la fois avoir des remords au sujet de la nuit des Longs couteaux et la justifier par deux grands discours, avant et après. Il y a de la comédie quelque part -le tout est de déterminer où !

  19. Je n’ai pas la totalité du livre de Kersaudy sous les yeux, je vais donc commencer par ce que je peux lire sur googlebooks :

    1) “un père bavarois devenu négociant dans l’import-export”. Ce n’est pas tout à fait exact. Le père n’est pas vraiment devenu négociant à Alexandrie, mais c’est son père à lui, le grand-père de Hess, qui a initié la boutique à Alexandrie. En réalité le père Hess n’a fait que reprendre la boutique, la succession du père. Le père lui-même était déjà très riche quand il s’est installé à Alexandrie et il venait de Hambourg si je me souviens bien.

    2) “il passe ses 14 premières années à Alexandrie, de son propre aveu les plus heureuses” On sent poindre là une critique dans la plume de K, une critique qui est souvent faite à Hitler d’ailleurs : c’est un raté qui n’a fait que le malheur étant adulte et donc par définition n’a pu être heureux que dans l’enfance. Or… si je ne me trompe pas, il a passé son enfance à Alexandrie dans une prison dorée… pour le portrait d’un fou aventureux que veut dresser K c’est mal engagé s’il en fait là sa période la plus heureuse… Je crois au contraire que son enfance a été morose (il ne voyait jamais son père, un père très austère, une mère très soumise) et que Hess s’est vu coupé du monde (il n’est pas allé à l’école mais a eu des précepteurs)… D’où sa soif d’aventures qu’il assouvira en s’engageant comme volontaire pour l’armée en 14, puis en suivant un certain Adolf Hitler.

    3) Kersaudy pense que Hitler aurait préféré envoyer un He 111 ou un Ju 88 avec équipage complet plutôt qu’un Me 110. Mais, le Me 110 était le plus adapté à la mission, et il aurait été encore plus difficile de nier le côté officielle de la mission avec un bombardier lourd avec un équipage complet si jamais la mission avait échoué !

    4) Kersaudy pense que Hitler “partisan de négocier en position de force n’aurait pas cumulé la même nuit les bombes et le rameau d’olivier”. C’est bien sous estimer la perversité d’Hitler…

    5) “avant même de savoir si Hess est parvenu à destination, il fait annoncer que son bras droit a perdu l’esprit” Il attend le 12 mai 20h tout de même ! Il est au courant “officiellement” depuis le 11 mai 11h… de plus; Hitler est convaincu que Hess a réussi à rallier l’Angleterre. Il est même le seul à en être sûr : les autres Göring et cie étaient convaincus qu’il avait sombré dans le mer du Nord. Mais comment se fait-il que Hitler était convaincu que Hitler avait rallié l’Angleterre ? C’est qu’il a lui-même préparé l’opération.

    6) “il est vrai que notre homme est un excellent comédien, mais une réaction aussi violente et un abattement aussi prolongé sont absolument sans équivalent dans le comportement de Hitler dans toute la guerre”. Kersaudy là encore sous-estime les qualités de comédien de Hitler. Linge avait bien remarqué que Hitler ne criait et ne pleurait que quand il s’adressait aux autres… quand il était seul il n’était ni agité ni alarmé…

    7) “Hess n’a jamais prétendu parler au nom du Führer”… et bien, il faut saisir les nuances ! Il dit bien que les propositions de paix sont faites par le Führer. Il amène des copies du discours du Führer du 4 mai 41 (le jour où il s’est entretenu 4h avec lui) etc.

  20. J’approuve, et je compléterai un point :

    ” Kersaudy pense que Hitler “partisan de négocier en position de force n’aurait pas cumulé la même nuit les bombes et le rameau d’olivier”. C’est bien sous estimer la perversité d’Hitler… ”

    Il ne s’agit pas seulement de perversité mais de la tactique la plus constante de Hitler, la carotte dans une main et le bâton dans l’autre. Cela s’applique à la prise du pouvoir, à la nuit des Longs couteaux, à la crise “de Munich”, à la politique envers Vichy, à l’évacuation de Paris, aux négociations Himmler-Bernadotte… pour ne mentionner que quelques points saillants.

    • Un effet de manche caractérisé :

      Linge, le majordome en chef de Hitler, dit que son maître avait ordonné de ne pas le réveiller avant midi et qu’il avait respecté la consigne jusqu’à ce que Pintsch, arrivé en début de matinée porteur d’une lettre urgente, lui dise que Hess était parti en avion. Frappant alors à la porte de Hitler, il l’avait trouvé habillé. D’autre part, ensuite, Hitler ne se mettait en colère contre Hess que devant des tiers et sa colère retombait dès qu’ils étaient partis.

      Pour écarter ce témoignage aussi éloquent que capital, Kersaudy se contente d’écrire que Linge reconnaît “n’avoir pas osé demander au Führer s’il avait été informé à l’avance du vol de Hess”.

  21. Il faut lire directement le témoignage de Linge, rien n’est plus édifiant. Linge est plus crédible que les autres, car il ne changea jamais de version, et il faut le dire, il prend plus de recul, il semble être plus intelligent qu’un Misch par exemple.
    Linge n’a pas été traduit en français. Le voici en version anglaise :

    “he appeared surprised concerned and angry only in presence of others. I did not dare ask if he knew of Hess’ flight to Britain, but his behavior told me that he not only knew in advance but had also probably sent Hess to Britain himself in order to broker an arrangement between London and Berlin through Lord Hamilton, whom Hess had got to know at the Berlin Olympics. Officially Hitler denied this on 13 june [coquille : “mai” évidemment] at the Berghof before 60 or 70 senior civil servants, ministers, and gauleiters and so on. He asserted that Hess was mentally ill and had put the Riech in an embarrasing situation through his “crazy idea”. Too much hinted that he only said this because Hess’s mission has failed, however. Instinctively i recalled how few days before the event he had held a converstaion with Hess lasting about 4 hours, which was extraordinary, for it was the first such conference between them since the outbreak of the war. Whatever has been discussed remains a mystery. They understood each other and knew the most likely way to achieve their aims.”
    Son “Whatever has been discussed remains a mystery” est dissipé par le témoignage Misch-Plätzer qui indique que Hess et Hitler parlait du discours au Reichstag que Hitler allait tenir le soir même. Le mythe du Hess qui n’a pas d’influence en prend un coup. Misch-Plätzer précisent que Hess et Hitler discutaient des propositions de paix à l’Angleterre que Hitler allait formuler le soir même. C’est ce même discours, ces mêmes propositions de paix, que Hess fait imprimer et amène avec lui en avion en Ecosse, après l’avoir fait traduire en anglais par Böhle. Bohle qui ne sera pas arrêté. Il est donc faux de dire que tout l’état-major de Hess a été arrêté après le 10 mai. Il serait intéressant d’ailleurs de faire une liste de ceux qui ont été arrêté.

  22. D’un article écrit pour le 70ème anniversaire, en mai 2011, j’extrais ceci :

    La tentative de Hess d’aller voir discrètement le duc de Hamilton, le 10 mai 1941, faisait suite à des travaux d’approche abondamment documentés, depuis le milieu des années 30. Le « lieutenant du Führer » disposait en particulier d’un agent zélé et talentueux, nommé Albrecht Haushofer, pour faire avancer la cause nazie au sein des élites britanniques. Hitler suivait l’affaire de près : on en a des indices jusqu’en septembre 1940, date d’une lettre de Hess signée Haushofer et destinée à attirer Hamilton à Lisbonne pour un entretien sur les moyens de rétablir la paix. A la difficulté de démontrer que lors de ses conversations avec Hitler Hess ne soufflait mot de son projet de vol, s’ajoute celle de déterminer à quelle époque, et pour quel motif, il aurait cessé d’informer son chef de ses efforts pour entrer en contact avec le duc. Son chef qui était aussi son ami, et son idole.

    Outre la hiérarchie, la logique politique peut, et doit, être invoquée pour décrypter les arrière-pensées des dirigeants dont on suspecte les déclarations officielles. Dès lors, certains mensonges deviennent aussi évidents qu’un squelette sous les rayons X. C’est précisément le cas des déclarations de Hess à ses premiers interrogateurs britanniques. Prend-il des distances avec le Führer ? Dit-il par exemple, comme tant d’autres émissaires nazis, que Hitler hésite sur la politique à suivre, et que lui-même essaye de l’attirer vers telle ou telle option ? Pas du tout. Il insiste au contraire sur le fait qu’ils sont d’accord en tout… sauf sur sa venue en Angleterre, dont il lui aurait caché le projet. Ainsi, les offres « généreuses » de paix qu’il formule sont officielles et le Royaume-Uni peut compter ferme, s’il les agrée, que Hitler les honorera. Qu’est-ce que cela peut bien signifier, sinon qu’il est envoyé par Hitler mais ne peut pas le dire… ou pas encore, et pas à tout le monde ?

  23. “Il insiste au contraire sur le fait qu’ils sont d’accord en tout… sauf sur sa venue en Angleterre, dont il lui aurait caché le projet.”

    Il me semble qu’il y a une nuance : aux Anglais que Hess jugent favorables à la paix il rappelle que ce sont les volontés du Führer, aux personnes qu’il juge proches de Churchill il rappelle qu’il est venu sans l’assentiment du Führer.

    Il s’agit donc d’un double-langage. SI les appeasers l’emportent, on dira “l’envoyé de Hitler a signé la paix”. Si Churchill et sa clique restent, on dira “Hitler n’était pas au courant”.

  24. Bonjour.
    J’avoue que vous lire est passionnant. J’ai quasiment terminé un livre sur l’expérience que j’ai vécu en rencontrant Rudolf Hess à Spandau en octobre 1972.
    Sur ” HITLER était-il au courant ” bien difficile de se faire une opinion. Vous n’évoquez pas, et c’est dommage, le témoignage d’Adolf GALAND, qui affirme que Göring lui demande d’abattre Hess en vol dès le 10 mai au soir. De quoi relancer les spéculations ne pensez-vous pas ?
    Meilleures salutations.
    Michel Boixiere
    http://www.l-oree.org

    Mon futur livre sort d’ici novembre 2023 et s’appellera: HESS par hasard.

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