Anniversaire du 18 juin et mémoire du 22 juin.

Reynaud et Pétain
Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940. Photo : © Getty / Keystone-France.

François Delpla sur Paroles d’Actu : « Refuser tout armistice à Hitler en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle »

Se figure-t-on encore aujourd’hui l’ampleur du traumatisme que constitua, pour les Français d’alors, la défaite lourde de conséquences – et peut-être inéluctable au vu de l’excellence du coup allemand – de mai-juin 1940 ? La plus grave catastrophe de notre histoire ?

Oui et non. Sans Churchill – ou n’importe quel Anglais décidé… mais il n’y avait guère que lui -, Hitler mourait dans son lit 40 ans plus tard dans un empire allemand qui aurait eu le temps de faire de « nous » ce qu’était la Grèce par rapport à Rome. Fin de la France. Mais, Hitler ayant finalement été vaincu, elle existe, conserve un poids en Europe et dans le monde, n’est pas si inférieure que ça à l’Allemagne et à l’Angleterre, mais évidemment, l’énorme contribution des « deux grands » à la bataille a fait régresser, relativement, toute l’Europe.

Considérant les forces en présence et les moyens matériels dont disposaient les belligérants, peut-on établir que la défaite était davantage affaire de choix stratégique (mobilité mécanique en attaque contre murs statiques en défense) que d’infériorité numérique ? Si, hypothèse, De Gaulle, avec ses conceptions novatrices de l’armée, avait été aux manettes à la place de Gamelin dès la déclaration de guerre de septembre 1939, la France aurait-elle eu une chance de connaître alors un autre destin ?

Oui.

L’Allemagne est faible, par rapport à ses ambitions. Elle ne peut gagner qu’en prenant de grands risques, en cachant constamment son jeu, en divisant les gens qu’elle veut léser pour les battre séparément. Sa victoire de mai-juin 40 est due à des facteurs politiques beaucoup plus que militaires. On s’attendait à tout sauf à ce qu’elle joue toute sa mise ainsi parce que jusque là elle ne s’était attaquée qu’à des proies nettement plus faibles. Le 10 mai, tout le monde pense qu’elle ne vise que l’occupation du Benelux. Il y a avant tout une faillite intellectuelle, dans le refus de voir Hitler en face, la propension à le prendre pour un bouffon, l’idée que Staline serait plus dangereux, la croyance en une Allemagne divisée et au bord de l’implosion…

Qu’aurait-il fallu pour que la position de Paul Reynaud à la tête du gouvernement demeure tenable au-delà du 16 juin 1940 (voire soyons fous la nomination d’un Georges Mandel) ? Une solution autre qu’une demande d’armistice à l’ennemi (l’exil du gouvernement à Londres ou en Afrique, voire la fusion franco-britannique) eût-elle été sérieusement envisageable au regard de l’immense capacité de nuisance et de destruction aux mains des Allemands sur la France occupée ?

Parce que l’armistice ne leur donnerait aucun moyen de nuire ni de détruire ?

Si nous convenons que Hitler n’a conclu un pacte avec Staline que pour écraser la France, provoquer par là une résignation anglaise à sa domination du continent et se payer ensuite sur la bête soviétique (mais pas forcément en 1941 et pas forcément en une seule fois), le seul fait de lui refuser tout armistice en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. C’est d’ailleurs bien dans cette impasse que Churchill l’a englué en l’obligeant à tout miser une fois de plus sur une seule case, une Blitzkrieg vers l’est à finir impérativement dans les trois mois.

Avec une France restée en guerre, il n’aurait même plus eu cette échappatoire.

http://parolesdactu.canalblog.com/archives/2020/06/16/38374390.html

François Delpla
A propos de François Delpla 34 Articles
normalien (Ulm), agrégé, docteur HDR historien du nazisme et de sa guerre depuis 1990 biographe de Hitler persuadé que le nazisme a été très peu compris pendant un siècle et que son histoire scientifique débute à peine

1 Comment

  1. Une autre interview, téléphonique, triée et entrecroisée avec celle d’Aurélie Luneau, historienne de la radio et auteure cette année d’un livre sur l’appel
    https://www.francebleu.fr/infos/politique/l-appel-du-18-juin-80-ans-apres-ce-qu-il-faut-savoir-sur-le-celebre-discours-du-general-de-gaulle-1592406823

    Extrait :

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    François Delpla : La signature de l’armistice, le 22 juin, est capitale. Le 23 juin le gouvernement britannique décide de ne plus reconnaître le gouvernement Pétain mais de reconnaître à la place un comité national français qui continue la lutte et dont le général de Gaulle est le coordonnateur. On espère alors qu’il parviendra à former un gouvernement alternatif en attirant des personnalités politiques plus représentatives, comme Georges Mandel ou Paul Reynaud.

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    Il ne faudrait pas comprendre que le “comité national”,
    en formation avec de Gaulle pour secrétaire, que le gouvernement britannique décide de reconnaître, le matin du 23 juin, EN LIEU ET PLACE DU GOUVERNEMENENT DE PETAIN, considéré, au vu de l’armistice qu’il a signé, comme soumis à Hitler c’est-à-dire à l’ennemi,
    ne s’est pas réalisé faute d’être rejoint par d’autres hommes politiques.
    L’essai n’a pas eu le temps d’être tenté. Le comité a été torpillé le soir même par une initiative de lord Halifax, qui s’en justifie le 24 devant le cabinet en expliquant qu’il a été assailli par des Français de Londres (Monnet et Corbin essentiellement) très hostiles à de Gaulle et se prétendant rebelles à l’armistice tout en prétendant que la rébellion ne devait pas partir de Londres mais des colonies. Ce qui s’appelle lâcher la proie pour l’ombre !

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