Conversation autour de l’origine du vol de Hess

J’ai publié une chronique littéraire intitulée Rudolf Hess par Pierre Servent en novembre 2019. Après l’avoir lue, François Delpla, historien, normalien et agrégé d’histoire, m’a contacté en avril 2020. Il désirait en savoir plus sur mon appréciation des idées développées par Pierre Servent dans son ouvrage (1). Il m’a donc proposé un entretien écrit que j’ai volontiers accepté.

FD : Quelle est votre vision du nazisme ?

Je produirai une réponse articulée autour de trois points.

Tout d’abord, en tant que catholique romain, je n’adhère pas au nazisme d’un point de vue intellectuel ou doctrinal. Cette idéologie a clairement été condamnée par l’Eglise (2). Personne ne peut nier que le régime national-socialiste persécuta les clercs et les laïcs catholiques. Nombreux sont mes coreligionnaires à avoir refusé d’apporter leur soutien ou leur caution au Troisième Reich. Ils entrèrent en résistance passive ou active. Certains le payèrent au prix fort comme Maximilien Kolbe – pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres. Ce frère franciscain polonais déporté à Auschwitz a librement décidé de prendre la place dans le bunker de la faim d’un père de famille condamné à mort. Je peux dire que ce saint homme – canonisé en 1982 – s’est véritablement offert en sacrifice à la haine des ennemis de la foi. 

Dans cette optique, je convoque également monseigneur Clemens August von Galen, surnommé le Lion de Munster. Il fut l’âme de l’opposition catholique aux euthanasies commises par le régime hitlérien. Il dénonça aussi vigoureusement les abus de la Gestapo ainsi que la persécution de l’Eglise. Je le cite, car je crois juste et nécessaire de rappeler des vérités méconnues ou malheureusement oubliées : « C’est une doctrine effrayante que celle qui cherche à justifier le meurtre d’innocents, qui autorise l’extermination de ceux qui ne sont plus capables de travailler, les infirmes, de ceux qui ont sombré dans la sénilité […] N’a-t-on le droit de vivre qu’aussi longtemps que nous sommes productifs ? » (3).

Je mentionne très rapidement et sans m’étendre les racines occultes et ésotériques des nationaux-socialistes. Elles entrent fondamentalement en contradiction avec ce que je sais juste, vrai et bien, qui se confond avec ce qu’enseigne depuis toujours l’Eglise catholique romaine.

Ensuite, comme philosophe, je ne pense pas que la déification de l’Etat et de l’Homme puisse apporter véritablement la sagesse et l’harmonie à une société humaine quelle qu’elle soit. Je pense que l’embrigadement de la jeunesse par l’école, les associations culturelles et sportives, ou celui de la société par l’armée, les syndicats et le Parti unique n’incarnent pas des idéaux louables et sains. Effectivement, je défends les libertés, et plus particulièrement la liberté scolaire, d’entreprendre, et de penser. J’estime que la responsabilité des parents dans l’instruction et l’éducation de leurs enfants ne doit pas être réduite et moins encore annihilée par le contrôle étatique. 

En outre, l’étatisme économique de gauche, qu’il soit jacobin, marxiste ou national-socialiste, ne me semble pas être un facteur positif pour la bonne marche d’une société. Je préfère la libre entreprise et la défense des libertés économiques plutôt que la planification et les nationalisations à outrance. Cette promotion des libertés n’entre pas en contradiction, bien au contraire, avec la défense des salariés ou des plus faibles via des corporations et des corps intermédiaires. De même, toujours dans cette authentique quête de vérité qui m’anime, je constate que la mythologie germanique fantasmée conduit inévitablement à des erreurs historiques majeures : les théoriciens nationaux-socialistes déclaraient que la puissance des civilisations grecque et romaine reposait sur le germanisme…

Enfin, comme historien, il est impératif de prendre en considération le contexte pour bien juger les fondements du nationalisme-socialisme, son émergence, ses réussites et son échec final. Il ne faut jamais oublier que les militaires allemands ne comprirent ni n’acceptèrent la paix de 1918. Ils voulaient continuer le combat. Ils estimaient – à tort ou à raison – que la victoire était possible. Cette paix signée par leur gouvernement représenta à leurs yeux un coup de poignard dans le dos. Elle alimenta leur tenace rancœur contre des politiciens jugés corrompus et traîtres à la patrie.

Une fois revenus en Allemagne, ces militaires souffrirent l’opprobre d’une bonne partie de la population voire de leur famille même. La société les accusait d’être responsables de la défaite. Il convient également de ne pas occulter le Traité de Versailles. Ce dernier représentait une insulte à la paix et au futur, comme cela avait été démontré par les analyses brillantes de Keynes (4) et de Bainville (5).

Concrètement, l’Allemagne perdait la guerre, mais elle subissait une humiliation au niveau des relations internationales. Nous pouvons parler de « paix carthaginoise », tant les conclusions du Traité se montraient extrêmement rigoureuses et injustes pour les vaincus. Les sommes demandées atteignaient des montants bien trop élevés. Il paraissait évident que l’Allemagne ne pourrait pas tout payer, sans parler du risque de ressentiment à l’encontre des vainqueurs qui finirait par émerger, tôt ou tard, sur le plan politique. Ce fut une vendetta dans les règles de l’art plus qu’un réel traité de paix. Nous pouvons même parler de traité de soumission. L’article 231 considérait l’Allemagne comme seule responsable de la guerre. Dans l’esprit des vainqueurs, il ne s’agissait pas de réparer des injustices, mais de littéralement écraser l’adversaire de la veille.

En plus de cela, la République de Weimar se montra totalement incompétente pour gérer un pays au bord de la crise de nerfs, avec une situation économique catastrophique, due entre autres à une inflation démesurée et à de multiples réquisitions. La révolution communiste en Russie gagnait des partisans en Allemagne, ce qui amena une forte déstabilisation dans les usines et les ateliers. Cette montée en puissance du communisme allemand provoqua des grèves bloquant un pays qui n’en demandait pas tant, générant des émeutes et des conflits contre les Corps Francs. Ces derniers aussi n’étaient pas avares de provocation et de violence, à la différence près qu’ils se réclamaient de l’Allemagne et de l’ordre.

Crise économique, crise sociale, crise politique, diktat de Versailles, pays au bord du gouffre avec certaines zones livrées à l’anarchie où le bon droit avait disparu, défiance envers la classe politique, voilà la véritable situation de l’Allemagne dans les années 20. Les Allemands ressentaient le besoin de retrouver leur fierté. Ils voulaient vivre dans un pays prospère non soumis à l’anarchie et aux volontés de leurs anciens adversaires. 

Réduire le national-socialisme à un mouvement militaire, raciste, anti-juif, ou à de grosses brutes épaisses faisant le coup de poing dans la rue, revient à faire l’impasse sur une réalité historique bien plus riche, et bien plus intrigante car en même temps d’une rare complexité. Commettre ce genre d’erreur d’analyse reviendrait à oublier, entre autres, le rôle trouble de la finance internationale et de certains groupes de pression. 

Le national-socialisme a réussi à redresser l’Allemagne par la mise en place d’un très fort interventionnisme d’Etat, une politique de grands travaux, le développement du secteur industriel militaire ainsi que par la remilitarisation du pays. La guerre affaiblira l’Allemagne en la privant de matières premières. La défaite finale provoqua sa destruction, sa division pour plusieurs décennies, l’occupation du pays par des forces étrangères et la conduisit à une situation économique extrêmement préoccupante.

FD : Trouvez-vous concevable que le disciple le plus soumis d’un dictateur soit précisément celui qui commettra la plus grande désobéissance, au cours d’une action d’envergure qui avait demandé des mois de préparation ?

Pour commencer, je ne sais pas si Hess doit être désigné comme le disciple le plus soumis à Adolf Hitler. Je pense qu’en Allemagne, beaucoup d’Allemands étaient prêts à mourir pour lui. Ce fut d’ailleurs ce qui se passa aux quatre coins de l’Europe, en URSS, et en Afrique du Nord. Hess faisait incontestablement partie des Allemands les plus convaincus par le projet hitlérien. Il était probablement un loyal et fidèle ami d’Hitler. Contrairement aux autres barons du Troisième Reich, Hess servait plus le régime qu’il ne se servait de lui pour des intérêts personnels. Cela ne fait aucun doute à mes yeux ! 

Rappelons que Hess et Hitler vécurent chacun dans leurs unités respectives la Première Guerre mondiale, l’horreur des combats et l’humiliation de la défaite. En outre, les deux hommes connurent ensemble la prison de Landsberg. Des souvenirs communs, des expériences passées similaires, des idées identiques pour l’Allemagne ne pouvaient que rapprocher ces deux hommes désirant une revanche sur la société.

Ceci étant dit et précisé, je ne suis nullement étonné des aventures parfois si singulières que nous offre l’Histoire. Celle-ci délivre chaque jour son lot de surprises, de bravoure, d’héroïsme, de lâcheté et de trahison. La chose surprenante reste que des historiens puissent être surpris par les vicissitudes de l’Histoire. A 12 ans, ayant lu une biographie consacrée à Napoléon (6), j’avais déjà compris que le plus surprenant dans l’Histoire serait qu’elle ne fut plus surprenante.

L’Histoire, de l’Antiquité à nos jours, nous montre des trahisons improbables, des retournements de situation que beaucoup croyaient impossible, des actes irréfléchis marqués par le succès, des entreprises préparées minutieusement connaître les plus gros échecs. Je ne suis pas le premier à l’écrire et à le constater, mais l’Histoire est le théâtre de l’imprévu

Quand les Etats Généraux débutèrent en France le 5 mai 1789, personne ne pouvait penser, prévoir, envisager que le 21 janvier 1793 le roi subirait la décapitation. Le 8 novembre 1989, ils n’étaient pas rares ceux qui chantaient que le communisme durerait encore plusieurs décennies, voire des centaines d’années. La Chute du Mur de Berlin a clos définitivement leurs espoirs chimériques. Plus près de nous, qui pouvait croire en 2016 qu’un inconnu, ancien associé-gérant de la Banque Rothschild & Cie, deviendrait président de la République un an plus tard, après une propagande médiatique savamment orchestrée dont on ne trouve d’exemple que dans les régimes totalitaires ? Personne ou presque. Il y a encore trois mois, qui aurait prédit que trois milliards d’individus subiraient une assignation à résidence ? Et pourtant, nous avons connu Le Grand Confinement.

Quant à Hess, je ne dis pas que ce fut un traître au régime national-socialiste. Ce n’est pas mon propos. En revanche, j’estime qu’un disciple dévoué, fidèle parmi les fidèles, peut agir en dépit d’une certaine logique, s’il considère que le maître ou le chef ne lui accorde plus faveurs et prébendes. Le sentiment d’abandon et le manque de reconnaissance voire même la jalousie peuvent pousser les gens à commettre presque tout et n’importe quoi, dont l’irréparable : Caïn a tué Abel, Alcibiade a porté les armes contre Athènes, Judas a livré Jésus, Condé a fait la guerre à Louis XIV, etc.

FD : Quels arguments de Pierre Servent vous ont convaincu :
a) que Hess avait voulu agir ainsi ?
b) qu’il y avait réussi sans se faire repérer : le dictateur n’avait-il ni yeux ni oreilles ?

Je ne sais pas où vous avez compris que j’avais été convaincu par les démonstrations et les explications de Pierre Servent. J’ai simplement rédigé une chronique factuelle consacrée à un ouvrage intéressant. Comme à l’accoutumée, j’ai exprimé les points saillants du livre pour le présenter objectivement. Je lis énormément de livres, je rédige un certain nombre de chroniques littéraires, et je ne partage pas toujours les avis exprimés par les auteurs. Pourtant, cela ne m’empêche pas de rédiger des articles honnêtes afin que chacun puisse savoir ce qu’il trouvera en achetant le livre en question.

Pour être très schématique, Servent estime qu’à l’époque de la guerre et surtout à la veille de Barbarossa (22 juin 1941) (7), Hess pensait ne plus faire partie du premier cercle d’intimes d’Adolf Hitler. Ce dernier aurait de plus en plus visiblement accordé sa confiance à Göring, Goebbels, ou Himmler devant l’imminence du conflit, au détriment de Hess. Pourtant, ce dernier avait été confirmé comme numéro trois dans l’organigramme du Troisième Reich en 1941, derrière Göring. Au sein même du régime et dans l’opinion publique beaucoup le considéraient toujours comme le dauphin naturel du Führer. Hess demeurait très fidèle tout en étant l’un de ses plus anciens compagnons de route. Néanmoins, Hess supputait que sa position récemment réaffirmée relevait en réalité plus du hochet – au regard des services rendus et en souvenir du passé – que d’un rôle à proprement parler politique. Il avait connaissance du projet hitlérien d’envahir l’URSS. Il défendait l’idée – partagée par des miliaires dont plusieurs généraux – que cette campagne présentait de nombreux risques pour l’Allemagne nationale-socialiste. La suite leur donna plus que raison.

Les considérations politiques (perte d’influence auprès du chef), militaires (campagne très risquée à l’Est), mêlées à des sentiments personnels (ne plus être un intime d’Hitler ou son favori) ont provoqué, selon Servent, ce plan désespéré visant, en fin de compte, un triple objectif : gagner la paix pour regagner la faveur perdue du maître et être le nouveau héros de son pays. 

D’une manière générale, il ne faut pas aller trop vite en suppositions pour tirer des conclusions. Je m’explique en prenant un exemple historique très célèbre. Jules César a été assassiné (8). On lui avait dit qu’il serait assassiné, il a été averti par des devins, l’aruspice Spurinna lors d’un sacrifice, lui demanda de se méfier des Ides, le matin du 15, sa femme Calpurnia a rêvé de sa mort et lui a fortement conseillé de ne pas se rendre au Sénat. Il s’y est quand même rendu. Peu avant d’entrer au Sénat, l’un de ses espions, Artémidore, lui a tendu une supplique donnant tous les noms des conspirateurs et des conjurés. César l’a prise sans la lire. Il apostropha alors Spurinna :

«  Les ides de mars sont arrivées, déclare-t-il.

— Oui, mais elles ne sont pas encore passées, répond le devin »

La suite est connue : Jules César reçut 23 coups de couteau. 

Dans un système politique centralisé, avec une police politique, une police du parti, une coercition très forte, il semble évident qu’Adolf Hitler pouvait être au courant de beaucoup de choses. Croire qu’il devait tout savoir est une étroite vue de l’esprit. Adhérer à ce principe revient à méconnaitre l’Histoire et les Hommes. Si vous partez du postulat qu’un dictateur sait tout avant tout le monde, pour quelles raisons a-t-il échappé de justesse à des complots ? Selon votre raisonnement, Hitler aurait dû démasquer ses ennemis de l’intérieur avant même qu’ils ne puissent agir. Par conséquent, il n’aurait jamais dû échapper – miraculeusement il faut bien le reconnaître – à plusieurs attentats dont celui du 20 juillet 1944. 

En effet, il les aurait tous déjoués avant leurs mises en place, vu qu’il était censé avoir « des yeux et des oreilles » pour reprendre votre expression. Il y a donc une erreur d’analyse fondamentale à penser qu’un dictateur sait tout et contrôle tout. Même aujourd’hui, à l’heure de la surveillance de masse et des nouvelles technologies, il est impossible pour un gouvernement de tout maîtriser à l’avance. Les exemples des Gilets Jaunes ou des Manifestations de Hong-Kong nous le rappellent (9).

Ceci étant dit, supposons un instant qu’Hitler ne commanditait pas ce projet de paix par l’envoi d’un émissaire secret, et qu’en raison des éléments présentés plus haut, Hitler aurait grâce à ses espions eu vent de cette volonté de Hess. Dans ce cas précis, nous nous retrouvons face à deux scenarii extrêmement plausibles :
• Premièrement, Hitler pense légitimement que Hess ne passerait jamais à l’acte, au regard de leur amitié ancienne et de la soumission supposée ou avérée de son bras droit. Il n’envisageait donc pas que l’un de ses proches pourrait agir dans son dos et sans son assentiment. Cela aurait été la totale surprise d’apprendre par la presse britannique et les chancelleries que son dauphin se trouvât au nord du Royaume-Uni.
• Secondement, Hitler laisse Hess mener son action jusqu’à son terme en se disant : s’il échoue, je ne serai pas responsable et je ne perdrai qu’un homme ; s’il réussit, je retirerai les marrons du feu en vertu de l’opportunisme de la situation et de la realpolitik

Finalement, tout le monde sait que la mission a échoué. Le gouvernement allemand a communiqué en disant que Hess souffrait de troubles mentaux et qu’il avait agi de sa seule initiative. Fin de l’histoire…

D’une manière générale, chacun sera libre d’être étonné ou non par l’envoi d’un émissaire de paix en Angleterre – dans des conditions si particulières – à quelques semaines de la plus grande opération militaire de tous les temps (10). Celle-ci exigeait de la part des plus hautes autorités du Reich un effort et une concentration de tous les instants. Un émissaire voyageant seul dans un avion, ne disposant pas d’une accréditation officielle de son gouvernement n’avait aucune chance d’être pris au sérieux par les autorités anglaises. C’est exactement ce qui se passa. 

Agir ainsi, dans le secret le plus complet, pouvait apparaître comme une faiblesse pour le gouvernement national-socialiste aux yeux de leurs adversaires et cela se comprend. Agir au grand jour aurait pu être également interprété par les Alliés comme un aveu de faiblesse, surtout au moment même où les nationaux-socialistes préparent activement le lancement d’une offensive gigantesque à l’Est. 

Après, je sais que beaucoup parlent de la duplicité d’Hitler et de sa capacité à être un excellent comédien, mais cela ne change pas grand-chose finalement. Certains partiront du principe que si Hitler avait vraiment voulu la paix, il aurait été simple d’arrêter les attaques et de formuler des offres de paix en bonnes et dues formes. C’était oublier que Staline passerait à l’offensive, tôt ou tard, contre le Reich, malgré le pacte germano-soviétique. 

Ce projet, mené par Hess tout seul ou piloté en sous-main par Hitler, était vraiment très mal ficelé, que ce soit en terme de fond ou de forme. Comment le ou les commanditaires de cette action ont pu penser une seconde que cette tentative serait couronnée par le succès ? De plus, Hess, une fois en Angleterre, avait demandé à rencontrer le duc d’Hamilton. Il disait le connaître depuis une visite officielle du prince de Galles en Allemagne antérieure à la guerre. C’était quand même très tiré par les cheveux d’espérer gagner la paix de cette manière. Encore fallait-il que le duc ait l’oreille de Churchill, ce qui ne semblait pas forcément le cas.

Cette tentative de paix, qu’elle émane de Hess seul ou d’Hitler lui-même ne pouvait qu’échouer au vu des éléments objectifs dont nous disposons à ce jour. Précisons aussi, même si cela paraît parfaitement logique, qu’être au courant d’un projet ne signifie pas l’approuver au y apporter son concours.

FD : Trouvez-vous recevables les accusations de complotisme portées contre ceux qui pensent que Hitler était au courant ? Il y a nécessairement dans cette histoire un complot, et plus encore si le chef de l’Etat n’est pas au courant, non ?

Votre première question appelle trois remarques. 

La première est la suivante : les complots existent et ont toujours existé. Je sais que certains publient des théories du complot complètement délirantes comme le récentisme, la terre plate ou les reptiliens. Cependant, ce n’est pas pour cette raison que des complots ne se fomentent pas car des ignares racontent des stupidités. 

Nous pouvons lire le Littré : « Résolution concertée secrètement et pour un but le plus souvent coupable. Former, tramer un complot ». Quant au Larousse, il propose : « Résolution concertée de commettre un attentat et matérialisée par un ou plusieurs actes. Par extension, projet plus ou moins répréhensible d’une action menée en commun et secrètement ». 

Si nous nous en tenons à ces deux définitions acceptables par tous, nous pouvons écrire que « des actions concertées en secret » existent aujourd’hui dans la politique, le sport, en entreprise, et même de tous temps. Dire cela ne fait pas de soi un affreux militant anarchiste ou d’extrême gauche. Il s’agit d’un constat vérifiable par tout un chacun.

Ma deuxième remarque vise à écrire que le terme complot souffre aujourd’hui d’une connotation très négative. Son utilisation vise à détruire, par le recours d’un mot-valise piégé, tous ceux qui recherchent des réponses loin ou au-delà de l’Histoire officielle et des explications fournies par les grands médias. Quand un adversaire ne veut pas discuter avec vous sur la base d’arguments factuels ou circonstanciés, il vous renvoie à la figure les termes « nazi », « complotiste » ou « théorie du complot » (11). Cela permet de jeter l’opprobre sur son adversaire, sans prendre la peine de réfuter sereinement et de manière calme les arguments présentés. Très souvent, les mêmes qui sur les plateaux de télévision ou dans les grands médias parlent de « complotisme » défendent les lois iniques qui répriment la liberté de penser, d’expression et de recherches (12).

Ma troisième observation exprimera nettement l’idée que je préfère un débat argumenté à des échanges reposant sur la violence verbale, les calomnies et les mensonges. Les fatwas, les arguments d’autorité, les injures et les calomnies sont généralement les armes de ceux qui manquent… d’arguments. Je sais que ces accusations de « complotisme » ne sont jamais recevables dans le cadre d’une disputatio

Toutefois, quand on soutient une thèse, une idée, encore faut-il la présenter comme il se doit : avec des documents, des écrits et des arguments. Aujourd’hui, trop souvent, je remarque des gens qui défendent tout et n’importe quoi, y compris en histoire, sans prendre la peine de présenter une pensée cohérente ou en écartant volontairement toute démarche scientifique et historique. C’est inadmissible ! Dans ce cas de figure, je conseille de ne pas leur accorder trop de temps, car le temps est précieux et malheureusement non extensible. Napoléon aimait à répéter : « Le temps perdu ne se rattrape jamais ».

Pour répondre à la deuxième question, aujourd’hui personne n’ignore que dans l’appareil d’Etat, le Parti et dans la Wehrmacht, nombreuses étaient les voix à s’élever contre les orientations prises par Hitler, et encore plus après le déclenchement de la guerre, notamment dans le cadre de la conduite des armées à l’Est. Plusieurs généraux ont exprimé des réserves et mêmes des critiques sévères au sujet des choix stratégiques et tactiques pris par Hitler : Wilhelm Keitel, Erich von Manstein, Wilhelm List, Erwin Rommel, Friedrich Paulus ne se privèrent pas pour exprimer des désaccords, des protestations et bien plus… 

En définitive, si Hess a agi tout seul, le complot au sens de concertation privée en vue de mener une action au grand jour a été plus que limité. Si Hess fut aidé dans son entreprise par d’autres caciques du régime national-socialiste, civils ou militaires, voire Hitler lui-même, il faut le prouver avec des documents certifiés et des preuves incontestables…

Échange du 12 mai 2020

(1) Rudolf Hess : La dernière énigme du IIIe Reich de Pierre Servent

(2) Mit brennender Sorge encyclique du Pape Pie XI publiée le 10 mars 1937

(3) Sermon du 3 août 1941

(4) Les Conséquences économiques de la paix de John Maynard Keynes, 1919

(5) Les Conséquences politiques de la paix de Jacques Bainville, 1920

(6) Napoléon ou le mythe du sauveur de Jean Tulard, 1978

(7) Barbarossa par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, chronique littéraire de l’auteur publiée en novembre 2019

(8) Jules César de Robert Etienne, 1997 et Vie des douze Césars de Suétone, IIème siècle

(9) Gilets Jaunes, les raisons d’un échec dévoilées de Franck Abed, août 2019

(10) Barbarossa : 1941. La guerre absolue deJean Lopez et Lasha Otkhmezuri, 2019

(11) La loi de Godwin est une règle empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d’abord relative au réseau Usenet, puis étendue à l’Internet : « Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un ». Cette régle vaut également dans le cadre d’une discussion en réel.

(12) Loi Pleven de 1972 ; Loi Gayssot de 1990 ; Loi Taubira de 2001 ; Loi Alliot-Marie de 2005

26 Comments

  1. Cher Franck Abed, tout d’abord bravo et merci d’avoir pris autant de peine !

    Pour prolonger le débat, je commencerai par vos dernières lignes :

    “si Hess a agi tout seul, le complot au sens de concertation privée en vue de mener une action au grand jour a été plus que limité. Si Hess fut aidé dans son entreprise par d’autres caciques du régime national-socialiste, civils ou militaires, voire Hitler lui-même, il faut le prouver avec des documents certifiés et des preuves incontestables”

    La dissymétrie est curieuse : s’il a agi seul, en vertu de quelle loi des preuves ne seraient pas requises, ou le seraient moins ?

    Mais en l’occurrence il y a quelqu’un qui n’agit pas seul : vous ! L’idée que le nouveau doive être prouvé, tandis que ce qui est admis n’en a nul besoin, fait florès dans toutes les corporations scientifiques… mais particulièrement en histoire du nazisme. De l’incendie du Reichstag aux palabres finales de Himmler avec le diplomate suédois Bernadotte, en passant par le vol de Hess, la vulgate dit “Hitler pas au courant” et, si on s’étonne, on se fait mettre en boîte d’abord, puis en demeure de prouver qu’il était informé. Ce qui est une excellente démonstration du fait que les tenants d’un Hitler sous-informé n’ont eux-mêmes aucune preuve à mettre sur la table, croient n’en avoir pas besoin et s’autorisent de la vox populi, de la majorité et de la tradition établie par leurs aînés. Autrement dit, qu’ils sont aussi éloignés que possible d’une démarche scientifique.

    Ici, à un certain niveau, les deux thèses font match nul : pour prouver que Hitler n’était pas au courant, il faudrait un verbatim de toutes leurs conversations, y compris par téléphone ou par des intermédiaires discrets. Pour prouver qu’il l’était il suffirait de bribes de ces conversations portant sur le vol… mais nous n’avons ni l’un ni l’autre, c’est entendu !

    Tout le monde est donc bien obligé, du moins s’il veut trancher, de passer par la voie indirecte d’un examen d’ensemble, et de la relation des deux hommes, et de la conjoncture militaro-diplomatique du printemps 1941.

    Je vous rappelle que Servent, tranche, et de la pire façon : en insultant ceux qui ne pensent pas comme lui. Ces fantaisistes, ces complotistes, travaillent, c’est le cas de le dire, en dépit du bon sens, cette qualité dont Servent s’adjuge avec aplomb une “bonne dose”.

    Servent, qui n’est pas à proprement parler historien mais qui sait trouver et commenter des documents, donne d’abord de fortes raisons de penser que Hess ne cachait rien à Hitler, auquel il s’était voué comme à un prophète et dont il révérait les analyses en dépit de l’abîme séparant leurs bagages scolaires. En revanche, lorsqu’il prétend que, une fois les nazis au pouvoir, Göring, Goebbels et Himmler avaient pris le pas sur Hess dans l’intimité du maître et éveillé chez lui un sentiment de jalousie, aucun document n’est invoqué -ni par Servent, ni par Abed. Lequel, dans son “entretien” avec moi, s’offre d’ailleurs de plus grands écarts que Servent. Si ce dernier omet de scruter l’influence des prétendus rivaux de Hess sur Hitler pour montrer en quoi elle aurait surpassé la sienne, se réfugiant dans la psychologie individuelle pour peindre un Hess complexé et tourmenté, Abed se contente d’arguer que l’histoire est surprenante et de le démontrer par des considérations sur la Rome antique, l’Europe napoléonienne et le confinement macronien, avant de citer des cas de retournements individuels contre le pouvoir établi, de Caïn au grand Condé.

    Finalement, vous ne donnez pas autant raison à Servent que votre article initial ne le laissait supposer. Au lieu d’affirmer dur comme fer que Hitler n’était pas au courant vous arguez qu’il pouvait avoir percé Hess à jour et l’avoir laissé faire, ou même avoir tout manigancé avec lui, l’important étant que c’était une opération de toute façon vaine.

    Comme vous semblez de très bonne volonté, j’attends avec confiance que vous ayez pris connaissance des analyses récentes que Servent est bien coupable d’ignorer, notamment parce qu’elle figurent dans un livre récent de sa propre maison d’édition. Elles reposent sur la venue au jour, en 1986, d’un rapport de Franco Lequio, ambassadeur d’Italie à Madrid, informant son gouvernement d’une donnée qui a pu être confirmée par ailleurs : le politicien conservateur Samuel Hoare, présentement ambassadeur anglais en Espagne, a fait savoir à un émissaire de Hitler, le prince Hohenlohe, qu’il était sur le point de réunir une majorité pour faire tomber Churchill et former un gouvernement de paix. Voilà qui jette une vive lumière sur la préhistoire britannique du vol de Hess et la censure documentaire qui nous empêche encore de la suivre de près.

    Pour une première approche : https://www.delpla.org/article.php3?id_article=494

    Et pour résumer ce que nos prochains échanges détailleront autant que de besoin : le duel Churchill-Hitler atteint son paroxysme, les deux champions jetant tout dans la bataille, Churchill (terrorisé à l’idée que le Reich puisse attaquer l’Angleterre au Moyen-Orient avant de se jeter sur l’URSS) montant une intrigue avec son opposé Hoare, Hitler mordant à l’hameçon puis s’impatientant, au point de risquer son bras droit pour en avoir le coeur net. Tant il a peur de l’URSS et d’une guerre sur deux fronts. Non pas, comme vous semblez le croire, parce qu’il craint que Staline lui tombe le premier sur le râble, mais parce que, pour peu que l’URSS tienne jusqu’à l’hiver, les Etats-Unis rafleront la mise. Ce qui n’est pas si mal vu !

  2. Bonjour,

    Merci de votre réponse qui appelle plusieurs remarques rapides :

    1) Vous avez interprété, mal, et dans le sens qui vous convenez ma chronique littéraire pour mieux défendre votre thèse. C’est dommage d’agir ainsi, d’autant que je pense m’être exprimé clairement et sans aucune équivoque dans ma recension littéraire.

    2) Je ne connais pas personnellement Pierre Servent. Je ne suis guère responsable des propos qu’il tient ou aurait tenus à votre égard, pas plus que je ne suis le maître des élégances dans vos joutes historiques avec lui… Ceci étant dit, vos échanges avec Pierre Servent n’entrent nullement en ligne de compte dans mes analyses historiques et politiques.

    3) Vous dites ” Abed se contente d’arguer que l’histoire est surprenante et de le démontrer par des considérations sur la Rome antique, l’Europe napoléonienne et le confinement macronien, avant de citer des cas de retournements individuels contre le pouvoir établi, de Caïn au grand Condé “.

    Encore une fois, il s’agit d’une interprétation, mauvaise, de votre part. J’aurais pu prendre des exemples historiques de retournements ” improbables ” en choisissant des événements s’étant déroulés au cours d’autres périodes. Vous semblez étonné que des choses ” impossibles ” puissent se passer. C’est pourtant le lot commun que nous découvrons chaque jour ou presque en Histoire.

    4) Vous dites : ” La dissymétrie est curieuse : s’il a agi seul, en vertu de quelle loi des preuves ne seraient pas requises, ou le seraient moins ? ” Mauvaise interprétation et mauvaise logique. Que Hess ait agi seul ou avec l’assentiment ou les ordres d’Hitler, il faut le prouver. Hors de question dans mon propos, de privilégier l’usage de preuves dans un cas et non dans l’autre. C’est même curieux de penser ainsi, ou de considérer que je pouvais penser comme tel.

    5) Dans le fond, que Hitler était au courant ou non, le plus important pour moi est que cette opération était très mal ficelée. Par conséquent, la question du commanditaire compte moins que les intentions de réussites envisagées, et de l’échec final de cette tentative.

    Cordialement,

  3. Bonjour à tous,

    “C’était quand même très tiré par les cheveux d’espérer gagner la paix de cette manière. Encore fallait-il que le duc ait l’oreille de Churchill, ce qui ne semblait pas forcément le cas.”

    Le duc avait l’oreille du roi. C’était encore mieux pour renverser… Churchill ! Car là est bien l’objectif : renverser Churchill, car Hess-Hitler sait très bien que Churchill est le seul obstacle à la paix. Autrement dit, un Halifax signerait facilement une paix de compromis pas trop méchante ni pour l’Angleterre, ni pour l’Allemagne, et qui paverait la route à une campagne victorieuse en URSS.

    En réalité, le vol de Hess n’est pas une folie. Il en a les apparences, parce que Hitler les lui a donné au lendemain du 10 mai. Et pourquoi a-t-il fait passer ce vol pour une folie ? Car il avait échoué. Hess-Hitler aurait réussi, on lui aurait décerné les lauriers de la victoire, exactement comme au lendemain du 10 mai 40 quand Hitler lance l’attaque contre la France en dépit de l’avis défavorable de ses généraux. Personne n’aurait cru à une débandade française de cette ampleur.

    Notez que la folie de Hess n’est pas la version officielle anglaise : http://issn-hist.com/79eme-anniversaire-du-vol-de-rudolf-hess-quelques-mises-au-point. Notez également que Hess n’a jamais été reconnu officiellement comme fou, ni avant Nuremberg, ni à Nuremberg, ni après Nuremberg. Une seule personne l’a décrété “fou” et seulement après avoir constaté l’échec de la mission (!). Voilà qui laisse perplexe. Voilà qui indique que la folie de Hess et de son vol n’est qu’une fiction inventée par Hitler pour cacher à ses alliés (Mussolini au premier chef) qu’il l’avait trahi en négociant avec les Anglais.

    Vous avancez que ce genre de “folie” sont assez courantes dans l’histoire. Vous citez Condé, et les autres qui ont tous trahi… mais Hess n’a jamais trahi ! Même Hitler ne l’a jamais dénonce comme un traître, mais seulement comme un “fou”. Hess est resté fidèle au nazisme jusqu’à sa mort, malgré 40 années de prison, malgré la débâcle du système. Il n’a jamais revendiqué avoir trahi son Chef. Il n’a jamais pensé passer pour un traître. Il avait toute sa tête, il savait ce qu’il faisait. Sur sa tombe il a fait marquer cet épitaphe : “J’ai osé!”. Oui, il a osé, mais jamais il n’a trahi. Bien au contraire, il est toujours resté fidèle. Le vol de Hess était un geste de fidélité envers le Führer, non seulement parce qu’il ne trahissait pas le Führer, mais parce qu’il exauçait ses volontés !
    Hitler qui dès Mein Kampf écrivait : “Pour se concilier les bonnes grâces de l’Angleterre, aucun sacrifice ne devait être trop grand.”. Quel plus grand sacrfice pouvait faire Hitler si ce n’est de sacrifier son bras-droit, son fidèle Hess, tel Abraham sacrifiant Abel ?

  4. ” Le duc avait l’oreille du roi. C’était encore mieux pour renverser… Churchill ”

    Comme déjà dit dans mon entretien, c’était très tiré par les cheveux : le copain, du copain qui connaît le copain et ainsi de suite….

    ” Hess-Hitler aurait réussi, on lui aurait décerné les lauriers de la victoire ”

    C’est exactement ce que je dis dans mon entretien… En cas d’échec, Hitler ne se mouillerait pas, voire il aurait enfoncé son subordonné. En cas de réussite, il aurait retiré les marrons du feu… Cas extrêmement classique !

    Encore une fois la question n’est pas là, la VRAIE QUESTION est : comment le ou les commanditaires aient pu penser une seule seconde que ce projet réussirait, surtout au vu de la préparation minimaliste et de l’agenda (à quelques semaines de Barbarrossa).

    ” Notez également que Hess n’a jamais été reconnu officiellement comme fou, ni avant Nuremberg, ni à Nuremberg, ni après Nuremberg ”

    Encore une fois, ce n’est pas le sujet, ni le coeur du sujet. Ca reste une question très périphérique.

    Personne ne dit qu’il fut fou. On dit simplement que le gouvernement NS a présenté cette excuse pour justifier cet acte.

    Cela nous éloigne de la question essentielle écrite plus haute : comment une personne intelligente, sensée pouvait croire à la faisabilité du projet ? Sans parler de l’aveu de faiblesse que cet acte constituait…

  5. “comment une personne intelligente, sensée pouvait croire à la faisabilité du projet ?”

    Vous ne jouez pas le jeu… Je vous remets dans le bain : qui vous disait que le 10 mai 41 échouerait ?
    Dans le même genre on pourrait dire “comment une personne intelligente sensée pouvait croire que la France serait défaite en un mois à peine ?”, ou encore comment aurait-on pu croire qu’un “agitateur de brasserie” autrichien, un “peintre en bâtiment” à peine “caporal”, pourrait triompher de la république de Weimar et devenir le dictateur tout-puissant de la Grande Allemagne et de l’Europe ?

    “Sans parler de l’aveu de faiblesse que cet acte constituait…” C’est que vous partez du présupposé que le projet échouerait.

    “C’est exactement ce que je dis dans mon entretien… En cas d’échec, Hitler ne se mouillerait pas, voire il aurait enfoncé son subordonné. En cas de réussite, il aurait retiré les marrons du feu… Cas extrêmement classique !”
    Il faut donc avouer que ce n’était pas si bête ni insensé que ça.

  6. ” Vous ne jouez pas le jeu… Je vous remets dans le bain : qui vous disait que le 10 mai 41 échouerait ? ”

    Vous n’avez pas lu ce que j’ai mis dans mon entretien. Je n’agis JAMAIS comme cela en Histoire.

    Au 10 mai 41, personne ne peut dire que la tentative échouera ou réussira. Par contre on peut dire en prenant en compte le contexte :

    – Très mauvaise préparation de cette opération

    – Etonnant de lancer une tentative de paix (presque désespérée au vu du monde opératoire) à l’aube de la plus grande offensive terrestre de tous les temps

    – Cela pouvait apparaître comme une faiblesse pour les raisons déjà exposées.

  7. “Vous n’avez pas lu ce que j’ai mis dans mon entretien. Je n’agis JAMAIS comme cela en Histoire.”
    Très bien, jouons le jeu jusqu’au bout.

    “Au 10 mai 41, personne ne peut dire que la tentative échouera ou réussira.
    Par contre on peut dire en prenant en compte le contexte :

    – Très mauvaise préparation de cette opération”

    Pourquoi ? Hess a bien atterri !

    “– Etonnant de lancer une tentative de paix (presque désespérée au vu du monde opératoire) à l’aube de la plus grande offensive terrestre de tous les temps”

    Au contraire, c’est très cohérent : Hitler a plus de chances de vaincre en Russie avec toutes ses forces qu’avec une guerre sur deux fronts.

    “– Cela pouvait apparaître comme une faiblesse pour les raisons déjà exposées.”

    Ce vol mettait en lumière un parti de la paix en Angleterre. Ça ne faisait pas le jeu de Roosevelt (!). Le vol de Hess a tant effrayé Churchill qu’il a étouffé l’affaire du mieux qu’il a pu. Il était conscient que ça faisait passer l’Angleterre pour moins antinazi qu’on aurait pu le penser. Après tout, on pouvait se poser la question : Hess n’était-il pas invité par Churchill pour négocier une paix de compromis ? Le vol de Hess a beaucoup nui à Churchill, pas qu’à Hitler. Il aurait même pu être fatal à Churchill, mais en aucun cas il n’aurait pu être fatal à Hitler. Donc, quelque part c’était bien joué de Hitler.

    • Il a atterri et alors ? Pour quels résultats ? Pour quelle efficacité ?

      ” Hitler a plus de chances de vaincre en Russie avec toutes ses forces qu’avec une guerre sur deux fronts ”

      Dans ce cas, il fallait faire une offre de paix en bonne et due en forme. Attendre la paix signée avec les Anglais et ensuite il aurait pu attaquer librement l’URSS… Il y a un illogisme dans votre raisonnement. Vous dites le contraire des faits.

  8. Il ne s’agit pas d’une querelle avec Pierre Servent, que je ne connais pas non plus, mais d’un bétonnage de vérité classiquement admise au mépris de faits nouveaux… publiés et analysés 6 ans plus tôt par le même éditeur dans sa collection de poche !

    On noie tout autant le document Lequio en évoquant le meurtre d’Abel qu’en passant sous silence la rencontre Hoare-Hohenlohe.

    Reprenons : vers le 10 mars 41, moment où se préparent les offensives de printemps, Churchill utilise Hoare, le plus notoire de ses adversaires après Halifax, pour faire croire à Hitler qu’il est sur le point d’être renversé : quelle faute ce serait, donc, de lancer lesdites offensives de printemps vers les Balkans, l’Egypte ou l’Irak ! Cela n’aboutirait qu’à sauver in extremis le fauteuil de Churchill ou, s’il est déjà renversé, à durcir Hoare, à le churchillianiser !

    Dans les semaines et les mois suivants, Hohenlohe veut revoir Hoare mais trouve porte close, cependant que les services anglais utilisent Hamilton pour maintenir l’illusion, mais petitement et lentement -trop pour Hitler et pour Barbarossa. C’est ainsi qu’un rendez-vous, passé sous silence par Servent, est programmé le 14 mai à Lisbonne entre le duc et Albrecht Haushofer.

    Pour Hitler, c’est trop d’atermoiements. Le vol de Hess est prêt, après réglages et faux départs. Il n’a peut-être pas très peur de l’URSS, il a peut-être assez bon espoir qu’elle s’effondre dans les trois mois (sans doute politiquement plus que militairement, ou disons par une combinaison d’effondrement politique et de débâcle militaire, un peu comme la France un an plus tôt), mais ce n’est pas hitlérien, ça, d’espérer, Monsieur aime jouer à coup sûr et laisser au hasard la portion la plus congrue possible. Et surtout, il ne contrôle pas un facteur essentiel, les Etats-Unis, lui qui avait tant fait pour empêcher la réélection de Roosevelt le 4 novembre précédent, notamment en faisant à Montoire et Hendaye la tournée d’une Europe soumise, deux semaines avant le scrutin (c’est alors que Staline sauve une première fois le monde -inconsciemment bien sûr, car Molotov était invité à Berlin quinze jours plus tôt et l’effet sur l’électeur américain d’un alignement aussi total du continent aurait été dévastateur, mais Joseph Djougachvili avait fait traîner son acceptation. J’ai dégagé tout cela depuis 25 ans dans mon livre sur Montoire, que vous ne devez pas connaître.)

    Pour le reste, j’apprécie que vous ne défendiez plus beaucoup Servent, qui est tombé dans un piège et vaut mieux que cette commande. Vous reconnaissez qu’il n’a pas la moindre preuve pour étayer sa thèse d’un Hitler pas au courant, seulement des conjectures… qu’il sait très bien reprocher aux autres, notamment à Heinz Linge, le témoin le plus proche et l’un des plus fiables ! Ce dernier n’a certes pas entendu Hitler mandater Hess… mais n’est pas dupe de sa colère, et témoigne qu’il retrouve tout son calme quand il n’y a pas de public à leurrer, c’est déjà beaucoup, non ?

    • ” Pour le reste, j’apprécie que vous ne défendiez plus beaucoup Servent ”

      Je n’ai jamais attaqué ou défendu Pierre Servent. J’ai déjà répondu sur le sujet.

      ” Vous reconnaissez qu’il n’a pas la moindre preuve pour étayer sa thèse d’un Hitler pas au courant ”

      Nouvelle interprétation abusive. Je ne sais pas où vous allez chercher cela dans mes écrits. Dans son ouvrage, Servent raconte, de manière assez détaillée, les deux thèses au moment ou l’état-major national-socialiste apprend que Hess se trouve en Grande Bretagne.

  9. Hitler au courant ou pas, tel est l’unique sujet du livre dont nous discutons, et la réponse de l’auteur est non seulement nette, mais péremptoire.

    Vous ne dites rien sur le document Lequio. Ne trouvez-vous pas qu’il donne à l’affaire une nouvelle jeunesse ?

  10. “Il a atterri et alors ? Pour quels résultats ? Pour quelle efficacité ?”

    Cela prouve que le vol n’était pas improvisé, s’il a réussi c’est que tout a été mis en oeuvre pour sa réussite, et ce au plus haut niveau de l’Etat !

    “Dans ce cas, il fallait faire une offre de paix en bonne et due en forme.”

    Elle a été faite par de multiples canaux, dont celui de Hess.

    “Attendre la paix signée avec les Anglais et ensuite il aurait pu attaquer librement l’URSS… Il y a un illogisme dans votre raisonnement. Vous dites le contraire des faits.”

    Vous pensez que puisque Hitler a attaqué l’URSS malgré l’échec de la mission Hess, la paix avec l’Angleterre ne comptait pas à ses yeux ?

  11. Franck Abed est un pragmatique ! Peu lui importent les causes de ce qui a échoué.

    Il y a là un risque, celui de retomber, ou de stationner, dans une histoire très convenue.

    C’est ainsi que jusqu’en 1990 et aux travaux de John Lukacs, Hitler a perdu parce qu’il ne pouvait que perdre, personne ne voyant que, si Chamberlain avait gouverné dix jours de plus, il serait mort… de vieillesse.

    • ” Franck Abed est un pragmatique ! Peu lui importent les causes de ce qui a échoué. ”

      C’est marrant cette capacité à ne pas se contenter de ce que j’écris….

      Je ne dis pas que les causes ne sont pas importantes… Je suis d’avis que cette proposition de paix était très mal ficelée pour des raisons maintes fois exposées, et qu’au vu de cette préparation, elle avait plus de probabilités d’échouer que de réussir.

  12. Le complotisme, parlons-en ! Il n’infecte pas moins les théories “Hitler pas au courant” que leurs rivales. On est allé jusqu’à fantasmer un voyage de Hess à Paris en 1937 pour rencontrer le duc de Windsor à l’hôtel Meurice avant le voyage chez Hitler du roi déchu, afin que les deux hommes coordonnent leurs efforts pour influencer Hitler dans le sens d’une alliance avec l’Angleterre !
    Quelques pistes dans le Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Duke_and_Duchess_of_Windsor%27s_1937_tour_of_Germany sur la tournée du couple Windsor en Allemagne.

  13. ” Oui, les gens ne semblent plus prendre au sérieux la possibilité d’une victoire hitlérienne, alors qu’elle était évidente jusqu’à Stalingrad. ”

    Votre illogisme est effrayant… Ou alors il s’agit d’un relativisme permanent. Je vous cite :

    La paix était importante pour Hitler à la veille d’attaquer l’URSS, car il devait avoir mains libres dans son dos pour jeter ses forces à l’Est et remporter la victoire… Tout en disant que peu importe la paix, car jusqu’à Stalingrad il était donné (par qui, on se le demande) gagnant. Faut savoir ce que vous dites. Cette paix était-elle importante ou pas pour vaincre l’ours soviétique ? Les raisonnement du genre, ” il était sur jusqu’à ce que “… sont très dérangeants sur le plan de la méthode intellectuelle et historique.

    Tout le monde sait aujourd’hui, que le plan allemand comprenait de nombreuses d’erreurs, relevées par différents spécialistes dont Lopez dans sa dernière étude magistrale, que les Allemands avaient sous-estimé grandement l’URSS, quant à son armée disponible, tout comme ses capacités de résistance… Dire qu’il était gagnant jusqu’à la raclée de Stalingrad c’est aller très vite en besogne. Avant cette bataille décisive, les nationaux-socialistes subissent une demie-défaite avec Barbarossa… Dire qu’ils étaient gagnants… Bof Bof.

  14. Cher Mr Abed,

    Hitler voulait dominer le monde AVEC les Anglais. Il veut une paix avec l’Angleterre dès le premier jour. Mais, pas à n’importe quelle condition : l’Angleterre doit reconnaitre la suprématie allemande sur l’Europe et la Russie ; en échange, l’Allemagne reconnait la domination anglaise sur l’Afrique et l’Inde. C’était le “deal”. Mais, Churchill n’en veut pas, or Churchill arrive au pouvoir le 10 mai 40 (un an avant le vol de Rudolf ! hasard ?). Les Anglais doivent donc remplacer Churchill par un autre qui ferait la paix avec lui. Hitler fait ce qu’il peut pour y arriver (Dunkerque etc). Le vol de Hess s’inscrit dans cette logique.
    Concernant l’invasion de l’URSS, il est évident qu’un arrêt des hostilités à l’ouest renforcerait la force de frappe allemande, notamment pour l’aviation. Cela dit, la paix avec l’Angleterre n’est pas une condition sine qua non pour l’attaque de l’URSS. Hitler attaquera de toute façon l’URSS. En effet, en cas de réussite de sa campagne à l’est, Hitler aurait des ressources suffisantes pour tenir tête à une Angleterre alliée aux USA. La victoire à l’est sonnerait donc le glas pour Churchill et obligerait les Anglais à pactiser avec le diable Hitler. Hitler ne fait là que remplir son programme qu’il avait édicté dans Mein Kampf, avec déjà son bras droit de toujours : Rudolf Hess.
    Malgré Lopez et consorts, l’attaque allemande sur l’URSS n’était pas vouée à l’échec dès l’origine. On pourrait résumer les choses de cette façon : jusqu’à Stalingrad, l’armée la plus puissante au monde reste la Wehrmacht. Après Stalingrad, l’Armée Rouge joue d’égal à égal. Après Koursk, l’Armée Rouge est n°1, la Wehrmacht passe n°2.

    Cordialement

  15. Vous semblez, Franck, tout à fait insensible à la découverte de Lukacs en 1990 : avec sa percée de Sedan, Hitler a bien failli gagner la guerre, de façon durable.

    Il était à la fois providentialiste et méticuleux : la Providence l’avait élu pour effacer 2000 ans d’erreurs et de mensonges judéo-chrétiens, mais pour autant il ne laissait rien au hasard, et avait réalisé à la mi-mai 40, à force de ruses, un crime parfait… à un Churchill près.

    TOUTES les erreurs qu’on relève dans son parcours, vous le premier, sont postérieures. Et ce n’est pas le fait de vous réclamer d’autorités antérieures à Lukacs, ou insensibles à son apport, qui peut vous donner raison.

  16. Puisque Servent ne craint pas de se lancer dans l’histoire psychologique, la plus grave lacune de son livre consiste à ne considérer que le caractère de Hess, sans consacrer à celui de Hitler la moindre ligne.

    À bien observer la relation des deux amis, Hitler fait, en risquant la vie et la liberté de ce compagnon des bons et des mauvais jours, le plus ancien qu’il ait, un énorme sacrifice.

    Voilà qui donne la mesure de la peur que lui inspirent Churchill, Staline et surtout l’alliance “juive” des deux contre lui que provoquerait son “Barbarossa”, si la progression de l’offensive rencontrait le moindre obstacle.

  17. “Hitler fait, en risquant la vie et la liberté de ce compagnon des bons et des mauvais jours, le plus ancien qu’il ait, un énorme sacrifice.”

    Hitler n’avait-il pas déjà écrit dans MK : “Pour se concilier les bonnes grâces de l’Angleterre, aucun sacrifice ne devait être trop grand.”.

    Le vol de Hess, son sacrifice s’inscrit pleinement dans la geste hitlérienne. C’est la logique même.

  18. Mon grain de sel dans la discussion du même article sur Agoravox :

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    François Delpla 24 mai 20:28

    Les plumes vont bon train !

    Pour certains intervenants, Hitler manoeuvrait bien. Je souscris. Mais à partir de la mi-mai 1940, alors qu’il était en marche vers un triomphe total (France domptée, Angleterre chassée du continent, URSS à sa merci sans qu’il soit obligé de risquer toute sa mise dès l’année suivante), il se heurte à un obstacle inattendu (de lui et du monde entier) : le NON churchillien. Dès lors l’envoi de Hess (par lui de toute évidence, notamment si on considère leur relation) n’est pas si habile que ça : c’est plutôt le signe qu’il redoute un échec en URSS ou simplement un enlisement, un retardement jusqu’à l’hiver, qui rende inévitable l’entrée des Etats-Unis dans l’arène et dès lors fort douteuse une victoire allemande.

    D’autre part il est induit en erreur par des manoeuvres des services anglais, Churchill lui-même redoutant d’être attaqué, au Moyen-Orient par exemple, et l’intoxiquant pour lui faire croire qu’un puissant parti de la paix le menace… ce qui est beaucoup moins vrai qu’un an plus tôt.

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