Un livre pionnier sur de Gaulle versus Hitler (1932-1940)

Charles de Gaulle et l’irruption hitlérienne – Le gaullisme précurseur, 1932-1940 – La source Pironneau

Gilles Le Béguec

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Jean-Paul Thomas

,

Jean Vavasseur-Desperriers

Serge Berstein

(Préfacier)

Presses universitaires de Rennes, octobre 2020

Voici tout bonnement le premier livre qui apporte quelque chose à la connaissance historique en cette année d’anniversaire décennal, tant de la campagne de France que de l’irruption gaullienne.

Il s’agit d’une relecture commentée des articles publiés dans L’Echo de Paris par son rédacteur en chef André Pironneau (1879-1948) pour populariser les idées militaires de Charles de Gaulle. Les auteurs ont découvert en 2016 qu’en fait le militaire écrivait, en tout ou en partie, bon nombre d’articles signés du seul journaliste. En creusant cette piste, ils précisent nombre d’affirmations des Mémoires de guerre, fort elliptiques sur cette période, et du récit développé par Jean Lacouture en 1984, qui tenait lieu jusque là d’étude historique.

L’enseignement principal est que, dès 1932, le commandant de Gaulle présente déjà beaucoup de traits de l’homme politique. Attentif à la mappemonde au moins autant qu’à l’Hexagone, sur le front intérieur il a soin dès le début (dès que la menace hitlérienne, en1932, se précise) de dépasser le clivage droite-gauche pour considérer seulement l’intérêt supérieur de la nation. Ou, plus exactement, de dépasser son propre ancrage à droite en lançant constamment des passerelles vers une gauche plus ou moins avancée, tout en passant sous silence le parti communiste… contre lequel l’Echo de Paris se déchaîne par ailleurs.

Ces articles, dont les parties clairement attribuables à de Gaulle mériteraient d’être intégrées dans le tome correspondant des Lettres, notes et carnets, sont commentés par trois historiens de métier. Questionnements et réponses sont encore partiels. Le très anticommuniste général de Castelnau, dont l’influence rayonne à la fois sur les milieux militaires et sur les adeptes de l’Eglise catholique, est l’un des principaux inspirateurs de l’orientation de l’Echo de Paris en même temps qu’un ami intime d’André Pironneau. Sous l’Occupation, il critiquera d’emblée Pétain sans pour autant se rallier à de Gaulle et en déconseillant à ses descendants de le faire. Est-il alors dans la confidence ? Sait-il que son journal abrite la prose d’un officier dissident ? La question reste en suspens. Une réponse positive en dirait long sur les clivages dans l’armée et les prudences de celle-ci par rapport au pouvoir politique. Lequel est, quoi qu’il en soit, le grand perdant de cette étude.

Car le retour de fait de la droite au pouvoir après le 6 février 1934 soulève chez de Gaulle-Pironneau, en plein démarrage du réarmement allemand, de grands espoirs et une pression implicite sur les ministres de la Guerre, Pétain puis Maurin. Lorsque un politique, Jean Fabry, officier de carrière à l’origine, reçoit le portefeuille le 7 juin 1935, la pression se fait explicite… ainsi que la déception, vers la fin de son ministère qui survient le 24 janvier 1936. Fabry a certes ordonné de fabriquer des chars,  mais nullement de les regrouper en un “corps mécanique spécialisé” prêt à intervenir pour enrayer toute entreprise allemande contre le territoire national, ou celui des alliés européens de la France.

Une question peu abordée dans les articles ainsi, d’une manière moins justifiable, que dans le livre, est celle de l’alliance soviétique. Elle est recherchée et signée entre 1932 et 1935 puis tombe en désuétude dans la période 1936-1939. On sait que de Gaulle la prône vigoureusement en privé grâce à une lettre du 20 décembre 1936, adressée à sa mère (et mentionnée dans le livre). C’est vers ce moment que le haut commandement français, sous Gamelin, change son fusil d’épaule, le rapport défavorable du général Schweisguth sur l’Armée rouge éclipsant celui, enthousiaste, du général Loiseau après les manoeuvres de 1935. Que dans le contexte du Front populaire, de la guerre d’Espagne, du démantèlement de la Cagoule (non mentionnée) et des procès de Moscou, de Gaulle ne juge pas à propos de soulever ce lièvre dans le journal de Calstelnau, est une chose, que la question tienne aussi peu de place dans un livre de 2020 sur la passivité française face à Hitler en est une autre : en tout cas il faudra prolonger cette recherche par celle de nouvelles traces, dans les mémoires et les correspondances, permettant de cerner l’évolution de cette question dans les esprits des officiers français.

Un argument des supporters de Pétain tombe en poussière : le reproche fait à de Gaulle d’avoir tardé, contrairement au maréchal que voilà, à mesurer le rôle de l’aviation dans la guerre mécanisée. Il est omniprésent dès 1932 dans les articles étudiés. Il eût été convenable cependant de vider complètement l’abcès en mentionnant l’ajout subreptice d’un paragraphe sur l’action conjointe du corps cuirassé et de puissantes escadrilles dans certaines réimpressions de Vers l’armée de métier . Il suffirait de rappeler qu’on était en guerre, que Vichy ne lésinait pas sur le choix des arguments pour salir la France libre puis combattante, et que dès la Libération l’ajout disparut.

Le futur général et son maigre entourage jouent même un rôle politique important à un moment clé, la fin de 1935. On savait que le plan Laval-Hoare de partage de l’Ethiopie entre le Négus et le roi d’Italie, pour arrêter la guerre ouverte par une agression italienne en octobre, avait été torpillé en décembre par des indiscrétions de presse. Car l’opinion publique anglaise, sondée par le Peace Ballott, commençait à montrer sa lassitude envers les dictateurs, italien comme allemand. On citait le nom du journaliste André Géraud, alias Pertinax. On apprend ici que ce dernier était alors très proche de De Gaulle comme de Pironneau, et que la fuite procédait d’une décision politique de ces personnes, plus soucieuses de profiter de l’évolution britannique que de retenir à toute force Mussolini en route vers Hitler. A cette explication, que le livre propose, on pourrait ajouter l’hypothèse que de Gaulle tient (comme l’ouvrage le signale par ailleurs) à ce que la France agisse, contre Hitler, dans le cade de la SDN. Le plan Laval-Hoare était en effet une alternative à la politique des sanctions contre l’Italie, alors en débat à Genève.

Voilà qui nous amène à la question principale, que semble induire le titre du livre. Il est question d’irruption hitlérienne et non de sursaut allemand : cela donne à penser que les auteurs sont peu séduits par certaine mode historiographique qui, depuis les années 1960 mais avec un fort regain de nos jours, tend à exclure au maximum Hitler de sa propre politique. Encore faudrait-il savoir quelle idée de Gaulle se fait de cet adversaire. Dans les articles comme dans les commentaires, il est vu comme un ennemi juré de la France : de Gaulle ne se laisse donc bercer ni par le pacifisme affiché de Hitler, qui lui ferait détester la guerre en général et l’idée d”une guerre contre la France “avec laquelle il n’a plus aucun litige” en particulier, ni par son antisoviétisme, non moins affiché, selon lequel, s’il renonçait à ce pacifisme, ce serait pour guerroyer vers l’est. De Gaulle voit donc Hitler comme un menteur. Mais perce-t-il à jour ses talents, et de comédien, et de tacticien ? Et a-t-il compris que ses ruses dissimulaient une application méthodique du plan exposé sans fard dans le tome 2 de Mein Kampf en 1926 : un coup décisif contre la France obligeant l’Angleterre à accepter la domination de l’Allemagne sur l’Europe, puis une conquête à loisir des terres slaves ?

Ce livre riche en aperçus nouveaux a donc le mérite supplémentaire de suggérer des pistes abondantes pour de futures recherches.

François Delpla
A propos de François Delpla 34 Articles
normalien (Ulm), agrégé, docteur HDR historien du nazisme et de sa guerre depuis 1990 biographe de Hitler persuadé que le nazisme a été très peu compris pendant un siècle et que son histoire scientifique débute à peine

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