Johann Chapoutot résume ainsi sa thèse, soutenue en 2006, qui reste le plus soigné de ses travaux :
Les références historiques du national-socialisme sont généralement identifiées à la préhistoire germanique, au Moyen-âge allemand ou à la modernité prussienne. Dans une idéologie au racisme aussi exclusiviste, il ne semble pas y avoir de place pour une Antiquité gréco-romaine qui, par sa méridionalité, semble être allogéne à la race germanique-nordique. Les citations antiques abondent cependant dans l’espace public nazi: l’architecture de représentation affectionne, sous le IIIème Reich, le néo-dorique et le néo-romain, tandis que la sculpture de commande des Breker et Thorak rappelle le nu grec par le travail du corps et du drapé. La parole publique des hiérarques du régime fait en outre de nombreuses références aux Grecs et aux Romains. Le discours national-socialiste, diffusé par les vecteurs de la parole, de l’écrit programmatique, universitaire ou pédagogique, des arts et des fêtes, accorde ainsi une présence à l’Antiquité qui apparaît surprenante si elle n’est pas éclairée par les fonctions qu’elle remplit. L’Antiquité méditerranéenne, annexée à l’histoire de la race aryenne, confère à cette derniére tout le brillant d’une civilisation prestigieuse. L’annexion justifie et légitime l’imitation des Grecs et des Romains qui enseignent à la nouvelle Allemagne comment construire les corps, édifier une société holistique et conquérir un Empire. Enfin, l’Antiquité, par sa disparition, est source d’enseignements pour un présent soucieux de se perpétuer: si la race nordique ne veut pas, à nouveau, connaître des millénaires d’effacement, il lui faut respecter ces lois de la nature que la Grèce et Rome, inattentives à leur excellence, ont violées en s’ouvrant à un mélange racial délétére et fatal. A défaut, devant l’inéluctabilité de la défaite, l’Antiquité enseigne comment mettre en scéne l’apocalypse d’un Empire qui, paradoxalement, et sur le modèle de Rome, est appelé à se survivre par sa mort même. Le Reich millénaire devait laisser des ruines titanesques et l’écho d’un crépuscule assourdissant dont le mythe résonnerait encore dans mille ans.Dans cette thèse, une distinction très nette est faite entre Hitler, qui définit cette orientation, et Himmler, qui suit en traînant les pieds, passionné qu’il est, lui, par “la préhistoire germanique” et le “Moyen-âge allemand”.
Or, dans ce résumé, le chef nazi n’est pas nommé. D’autre part, les dernières lignes rompent insuffisamment avec l’idée classique que les nazis auraient été fascinés par le néant
et que la fameuse “théorie des ruines”, connue par Albert Speer (Hitler lui aurait souvent dit que ses bâtiments devaient être pensés en fonction des ruines qu’ils laisseraient et qui devraient témoigner d’une époque de splendeur)
signifiait qu’il ne pensait pas, au fond, gagner la guerre et entrevoyait la fatalité de son échec.
En réalité, Hitler pensait gagner, le voulait et avait été bien près de le faire, c’est-à-dire de stabiliser durablement des gains allemands gigantesques, au moment de la victoire sur la France.
Par ailleurs, une recension due à Philippe Foro comporte des citations qui surprendront les lecteurs du dernier livre de cet historien (Libres d’obéir, 2020), d’après lequel les nazis haïssaient l’État, cette création française. Exemple :
“Quant au monde romain, il est le modèle absolu de l’État et de l’Empire car, comme le confie Hitler à ses proches le 21 juillet 1941, moment des triomphes allemands sur le front soviétique, « L’Italie est la patrie de l’idée d’État, et l’Empire romain, cet Empire mondial, a été la seule manifestation d’un État politique qui eut quelque grandeur » (p. 284). La capitale impériale que fut Rome, visitée par Hitler en mai 1938, sert aussi de modèle, mais qu’il s’agit de dépasser dans la grandeur”.
Une recension élogieuse (en allemand)
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