Hitler et la mort du Gauleiter Carl Röver

15 mai 1942 s’éteignait le Gauleiter et Gouverneur de la région Weser-Ems (au nord-ouest de l’Allemagne) Carl Röver. Mais, de quoi est-il mort ? Les historiens sont partagés encore aujourd’hui sur les vraies causes de sa mort : mort naturelle comme le veut la thèse officielle ou assassinat politique ? 

Pour l’historien allemand Ingo Harms* ça ne fait aucun doute : le 15 mai 1942, Carl Röver a été euthanasié par Karl Brandt sur décision du Führer. La raison ? Le dictateur ne pouvait supporter d’avoir un Gauleiter syphilitique. On remarquera que Karl Brandt est un ange de la mort et sa proximité entoure les morts mystérieuses de nombreux personnages comme Röver ou le roi Boris de Bulgarie (entre autres). Cela dit, la syphilis comme cause de la mort parait peu probable : Kurt Daluege, un autre grand nazi, avait la syphilis, et cela ne l’a pas gêné professionnellement (1). 

Photo de Carl Röver en uniforme

Pour l’historien Michael Rademacher* Röver est mort naturellement d’un AVC (accident vasculaire cérébral) consécutif à une pneumonie. Cette version n’est guère originale. En effet, l’historien répète là l’acte de décès officiel et ne s’éloigne guère de la  version officielle publiée dès le 17 mai 1942 dans le quotidien du parti, le Völkischer Beobachter qui parle d’une pneumonie sévère.


ci-dessus, la Une du Völkischer Beobachter du 17 mai 1942.

Or, cela parait peu probable si on tient compte du fait que la pneumonie a été contracté le 13 mai, qu’il a été pris en charge dès le début et qu’il a été ensuite transféré dans le meilleur hôpital du pays (La Charité à Berlin)… il faudrait partir du principe qu’il est mort en deux jours d’une pneumonie tout en recevant les meilleurs soins possibles. Improbable pour ne pas dire impossible ! D’autant que la santé de Röver ne présentait pas vraiment de problèmes, excepté sa malaria. Qu’il ait eu la syphilis est même douteux, puisqu’il est bien connu que la malaria empêche le développement de la syphilis. Il est vrai qu’en 1937 il a eu un accident de voiture. Mais, les conséquences ne semble pas avoir été graves : un bras cassé, voilà tout. Röver avait 52 ans au moment de sa mort. Il était donc encore relativement jeune. L’hypothèse d’une pneumonie ou d’un AVC consécutif d’une pneumonie parait donc peu probable voire impossible.  

David Irving* et Jochen von Lang* pensent que Martin Bormann a liquidé Röver, un Gauleiter trop remuant à son goût. Röver avait en effet critiqué le Führer dans un mémorandum de 200 pages en ce début d’année 42. De plus, le 13 mai il annonçait vouloir s’envoler pour l’Angleterre, retenter l’équipée de Hess… Röver était devenu incontrôlable et Bormann l’a donc fait liquider. Mais, on doit se demander dans quelle mesure Bormann était capable d’ordonner la mort d’un Gauleiter, qui plus est Gouverneur, sans en référer au maitre suprême Hitler. Il parait en effet impossible que Bormann se soit permis de prendre une telle décision seul. 

Dernièrement, François Delpla* avance l’hypothèse vraisemblable que Hitler a ordonné son exécution à cause de son mémorandum. Voilà qui est bien plus que probable ! L’année 42 annonçait les temps difficiles pour le dictateur : après l’échec anglais à l’été 40 était venu l’échec russe dans l’hiver 41. Hitler ne pouvait pas tolérer que des Gauleiters se rebiffent. 

A ce sujet Ian Kershaw nous donne un indice important dans son livre Le mythe Hitler (p.224) : le Führer dans son discours du 26 avril annonçait une chasse aux hauts fonctionnaires pourris et corrompus, une tactique pour détourner le peuple du cours catastrophique de la guerre. 
La mort de Röver intervenant 20 jours plus tard on comprend que la rumeur se soit répandu parmi le petit peuple et les membres du parti qu’il s’agissait d’un assassinat politique décidé en haut-lieu. Cette rumeur a motivé une enquête après la guerre (1949) qui avait conclu à une mort non violente et donc l’affaire avait été enterrée (le dossier a disparu des archives). Il est vrai que cette enquête mettait en cause l’adjoint de Röver, Georg Joel, qui dès 1955 redeviendra parlementaire (!). On était pas pressé de faire la lumière sur cette affaire ! 

Röver méritait-il de mourir ? Nazi de la première heure (2), il avait acquis une certaine notoriété en 1931 quand il était devenu Premier ministre d’un Land. Surnommé “le Taureau d’Oldenbourg” ou encore “le Führer de Frise orientale”, il était connu pour ses discours férocement antisémites. Mais, face à Hitler il était un personnage influençable et manipulable. Alors qu’il refusait de se présenter aux élections, c’est Hitler qui l’y pousse et c’est donc à lui qu’il doit son titre de Premier ministre (3). 
En 1942, croyant accomplir son devoir de soldat du Führer, il conseille à Hitler de changer sa manière de gouverner (mémorandum). Evidemment, Hitler ne l’entend pas de cette oreille. Mais, ce dont Röver ne pouvait se douter, c’est qu’à la première occasion, Hitler se débarrasserait de lui. Or, cette occasion se présente assez vite : le 13 mai 1942, quand il est lâché par ses adjoints Joel et Walkenhorst qui lui collent, avec la complicité du médecin-chef SS local Koennecke, une syphilis imaginaire doublée d’une volonté tout aussi imaginaire de répéter le vol de Rudolf Hess.  

En conclusion, non Hitler n’a pas fait assassiner Röver parce qu’il avait la syphillis. On connait un autre grand nazi qui avait la syphilis : Kurt Daluege. Non, il n’est pas mort de mort naturelle. Oui, il a été euthanasié par le service de Karl Brandt à l’hôpital de La Charité à Berlin le 15 mai 1942 à 17h00. Oui, Bormann a téléguidé l’opération, mais non ce n’est pas lui qui a décidé. Bormann a agi sur les ordres de Hitler.  

Que sont devenus les adjoints de Röver : Georg Joel et Heinrich Walkenhorst ? Le premier n’a pas pâti de l’affaire, puisqu’il est maintenu à son poste et il sera même promu à la fin de la guerre Ministre au sein du gouvernement Dönitz en mai 1945. Pour le second, François Delpla* (p.220) nous indique qu’il servira encore Bormann puisque ce dernier l’envoie “enquêter sur l’éventuelle diffusion de l’opinion de Rommel dans la région de Herrlingen”. L’historien Randall Hansen* nous apprend qu’il rendra encore bien des services à Martin Bormann, puisque ce dernier l’envoie fin octobre 1944 interroger le Gauleiter du Wurtemberg-Hohenzollern (Wilhelm Murr) et le Kreisleiter d’Ulm (Wilhelm Maier) soupçonnés de défaitisme (“pessimisme”). Cette affaire mènera à la mort d’un autre grand du régime : le Maréchal Rommel. Hansen* décrit un Bormann agissant dans l’ombre et dans le dos de Hitler. En réalité, il est plus probable qu’il agisse comme toujours en vil serviteur du Führer, ce que laisse suggérer la dernière biographie de François Delpla*.


(1) Léon Goldensohn, entretien avec Kurt Daluege dans Entretiens de Nuremberg, 2004, Paris.
(2) cf l’hommage que lui rend Göbbels dans son Journal, 17 mai 1942.
(3) cf témoignage d’Albert Krebs, alors Gauleiter de Hambourg, dans Tendenzen und Gestalten der NSDAP, 1959, Stuttgart. Trad. anglaise The infancy of Nazism: The memoirs of ex-Gauleiter Albert Krebs, 1923-1933, 1976, New York.

*Ingo Harms, “Der plötzliche Tod des Oldenburger Gauleiters Carl Röver”, Mitteilungen der Oldenburgischen Landschaft, 102, p.1-9, 1999 et “Tod in der Charité – Das Ende des Gauleiters Carl Röver”, Zeitschrift für Sozialpädagogik 2020.
Pour un aperçu de la thèse de Harms, lire Hans Beregow “Oldenburger Gauleiter Carl Röver wurde nervenkranker Nazi Opfer der euthanasie ?” 4 mai 2019.
*Michael Rademacher, “Carl Röver – Tod eines Gauleiters”, Deutsche Verwaltungsgeschichte, 2006.
*David Irving, Hitler’s war, p.391-392, 1977. 
*Jochen von Lang, Martin Bormann, p.273-274, 1977.
*François Delpla, Martin Bormann, p.203-204, 2020.
*Randall Hansen, Disobeying Hitler : German resistance after Walkyrie, p.69, 2014, Oxford.

photo : Hitler saluant la dépouille de Röver lors des funérailles nationales dans le Mosaik Hall à Berlin, le 22 mai 1942.

1 Comment

  1. Je tire parti du discours du 26 avril 42 dans mon livre sur Bormann, à propos de la réforme de la justice dans laquelle MB joue un rôle primordial. Mais je ne fais pas le rapprochement avec la mort de Röver, et il me semble très pertinent.
    C’est donc la deuxième fois en six mois (après le foudroiement de Joseph Wagner devant les gauleiters réunis, pour cause de catholicisme impénitent, le 9 novembre 1941) que Hitler fait un discours menaçant suivi d’une mesure individuelle pour bien se faire comprendre. Dans les deux cas, la menace est très générale mais la sanction vise des gauleiters. Ce sont, alors que la situation militaire est en train de se retourner, deux tours de vis accentuant la centralisation du pouvoir et sa personnalisation, avec le concours de Bormann.
    Le nazisme est décidément un ensemble où tout se tient.

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